Le clan de l'ours des cavernes
celui-ci considérait la fronde comme une arme réservée aux vieux et lui préférait de loin la lance, l'arme des chasseurs, avec laquelle il avait réussi à
abattre quelques petites proies peu rapides, comme les porcs-épics et les serpents. Faute de s'appliquer autant qu'Ayla, il éprouvait plus de difficultés qu'elle. Et quand la fillette constata sa supériorité sur lui, elle en ressentit une certaine fierté qui se manifesta par un léger changement dans son comportement, changement qui n'échappa nullement à
Broud.
Les femmes étaient censées se montrer dociles, soumises, modestes et humbles, et le jeune homme considérait comme un affront personnel l'absence de toute servilité chez Ayla. Cela représentait une menace pour sa virilité. Il l'observa attentivement, afin de discerner ce qu'il y avait en elle de changé, et lui envoya même quelques calottes, rien que pour voir sa peur et pour l'humilier.
Ayla s'efforçait d'obéir aussi vite que possible aux ordres de Broud. Elle n'avait pas conscience de sa liberté d'allure et de son aisance, acquises à
arpenter les forêts et les prés, de son attitude fière, née des exploits récents dans l'art de manier la fronde mieux que son jeune rival, et de la confiance en soi qu'elle gagnait chaque jour davantage. Elle ne comprenait pas pourquoi Broud s'en prenait si souvent à elle, et Broud lui-même aurait été incapable de dire en quoi elle le dérangeait tant.
Le souvenir cuisant du jour o˘ elle avait usurpé à son profit l'attention générale y était pour quelque chose, mais la raison véritable résidait dans son origine étrangère, dans sa naissance chez les Autres. Elle représentait une nouvelle race, plus jeune, plus vigoureuse, plus dynamique, moins conditionnée par les acquis de la mémoire. La morphologie même de son cr‚ne annonçait une nouvelle intelligence. Il naîtrait de son cerveau des idées comme le Peuple du Clan ne saurait même en rêver. La race d'Ayla appartenait à l'avenir, celle du Clan était déjà du passé.
Broud sentait de façon inconsciente et profonde la différence de leurs destins. Ayla constituait non seulement une menace pour sa virilité mais pour son existence même. Sa haine à l'égard de la fillette était celle de l'ancien pour le nouveau, de la tradition envers l'innovation, de ce qui meurt envers ce qui vit. La race de Broud était trop statique ; elle n'évoluait pas. quant à Ayla, elle représentait une nouvelle expérience de la nature, et en essayant de modeler son comportement sur celui des femmes, elle ne faisait qu'adopter une façade. En fait, elle essayait de découvrir le moyen de satisfaire un profond besoin qui cherchait à s'exprimer et, au fond d'elle-même, elle était déjà entrée dans la voie de la révolte.
Par une matinée qui s'était révélée particulièrement éprouvante pour elle, Ayla alla se désaltérer à la petite mare. Les hommes s'étaient réunis de l'autre côté de l'entrée de la caverne pour organiser la prochaine chasse.
Ayla en était heureuse, car ainsi Broud ne serait pas là pour la harceler comme il prenait plaisir à le faire. Pourquoi fait-il toujours appel à moi pour les corvées ? Et j'ai beau m'exécuter du mieux que je le peux, il n'est jamais satisfait. Comme j'aimerais qu'il me laisse tranquille !
- AÔe ! s'écria-t-elle involontairement, surprise par la violence du coup que Broud venait de lui porter.
Tout le monde se tourna vers elle, puis regarda aussitôt ailleurs. quand on est presque une femme, on s'abstient de crier quand on reçoit une taloche.
- Espèce de paresseuse ! A quoi rêvassais-tu, assise à ne rien faire s'exclama Broud. Je t'ai demandé de nous apporter à boire et tu n'as pas obéi. Pourquoi faut-il qu'on te le dise deux fois ?
Une bouffée de rage envahit Ayla. Elle s'en voulait d'avoir crié, de s'être humiliée devant tout le clan. Elle se leva, mais au lieu de bondir sur ses pieds, prompte à obéir, elle prit tout son temps et, jetant à Broud un regard noir, elle se mit en devoir d'apporter à boire aux hommes, muets de stupeur. Comment osait-elle se montrer si insolente ?
Donnant libre cours à sa colère, Broud se jeta sur elle, la fit pivoter et lui envoya en plein visage un coup de poing qui la projeta à terre. Il lui asséna un autre coup violent tandis qu'elle roulait en boule pour tenter de se protéger. Aucune plainte ne sortit de sa bouche, bien que le silence ne soit plus de rigueur en de
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