Le Code d'Esther
eue sans leur intervention. »
Il s’arrête un instant, manifestement satisfait de l’effet produit par ses connaissances. Il nous avait bien dit qu’il savait tout sur ce livre maudit !
« Enfin, reprend-il, il existe un dernier homme sans qui le livre serait resté au fond d’un tiroir
— Son éditeur…
— Exactement ! Il a été le sergent de Hitler pendant la Première Guerre mondiale. Il l’a suivi dans toutes les péripéties de sa vie. Il a alors 35 ans et dirige la maison Eher-Verlag, qui publie quelques bulletins confidentiels ainsi que le journal du Parti, le Völkischer Beobachter . Son intervention sur le livre va être déterminante. »
À présent, il prend son temps, ménage ses effets. Il sait qu’il a réussi à captiver notre attention. Je n’ai plus du tout envie de rentrer à l’hôtel.
« Hitler avait choisi un titre un peu has been , comme nous dirions aujourd’hui, poursuit-il en souriant. Quatre années et demie de combat contre les mensonges, la sottise et la lâcheté . Tel était le titre prévu par le Führer. Cela faisait des semaines que ses amis essayaient de le faire changer d’avis : pas assez percutant, pas assez vendeur ! C’est finalement le directeur de la maison d’édition qui réussira à le convaincre avec un titre concis, violent comme un coup de poing : Mein Kampf , “mon combat”…
— Et quel était le nom de ce directeur spécialiste en marketing ?
— Son nom est assez courant en Allemagne… Il s’appelait Max Amann. »
Un secret bien gardé
L e succès a parfois un goût étrange. À l’instant où le nom « Amann » est prononcé par notre interlocuteur, une immense fierté m’envahit : j’ai vu juste, il fallait partir enquêter à Landsberg. C’est la force et parfois la magie de l’enquête sur le terrain : l’esprit d’ouverture que l’on manifeste alors nous conduit toujours vers des découvertes et des surprises que toutes les recherches en bibliothèque ne sauraient remplacer. C’est ici qu’intervient, dans un gigantesque clin d’œil, le hasard. Lorsque l’on me demande quels sont les ingrédients nécessaires pour faire un bon journaliste, je réponds en général : « Du travail, encore du travail, de l’acharnement… et un peu de chance. » Notre mission en Bavière illustre parfaitement cette boutade – qui n’en est pas forcément une.
De la fierté, donc, mais pas seulement.
Au moment où le nom « Amann » surgit dans cette cafétéria, je sens immédiatement un nœud d’angoisse se former au plus profond de moi. Il ne cesse de grandir depuis. J’ai poussé, à ses plus extrêmes limites, la logique dans cette histoire irrationnelle ; j’ai mis ma réflexion et mon intelligence au service d’un texte improbable ; j’ai passé au crible de la raison des lettres vieilles de 2 300 ans… Le résultat m’emplit d’effroi.
Qu’est-ce que j’espérais ? Me cogner la tête contre un mur d’interprétations kabbalistiques ? Ne rien trouver ? Faire la démonstration que tout cela n’était qu’un conte des Mille et Une Nuits que des esprits tortueux avaient rafraîchi à la mode nazie ? Tout cela a-t-il un sens ? Quel a été mon moteur ? La volonté de démentir ? Celle d’affirmer et de prouver ? Ni l’un ni l’autre. La curiosité, oui, l’excitation, que j’ai toujours ressentie au long de ma carrière, à aborder une terra incognita . Et aussi, je l’admets en toute immodestie, le désir de m’approcher de la vérité, de détenir un certain savoir. Enfin, plus confusément, le sentiment que ma mère m’avait adressé un message et que je devais à sa mémoire de relever le défi que me lançait Yohan. Et voilà que je me retrouve ce soir devant un abîme d’interrogations au fond duquel le nom de l’éditeur de Mein Kampf a rejoint celui du Premier ministre d’Assuérus.
Sitôt rentré à l’hôtel, partagé entre l’euphorie et une sourde inquiétude, j’appelle Yohan au téléphone.
« Nous avions vu juste !
— Explique…
— J’ai retrouvé la trace d’Aman. »
Et je lui déverse en un flot ininterrompu Elke et les archives de la ville, Anton et le camp de concentration, Landsberg et sa prison, le cimetière de St. Ulrich et le bouquet de tulipes, la servante du curé et son malaise respiratoire, le fameux Günther et « Amann ».
« Je n’arrive pas à le croire, finit par dire Yohan après quelques
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