Le Code d'Esther
encore qu’elle n’est pas née à Landsberg, qu’elle y est arrivée alors qu’elle n’était qu’une enfant.
« Dans les années 1950 ? poursuit Axel de façon malicieuse.
— Plus ou moins, oui, répond-elle en baissant les yeux. Mais si vous voulez bien m’excuser, il faut que je termine mon service : la messe ne va pas tarder à commencer. »
Il ne nous reste plus qu’à nous retirer, en espérant ne pas avoir troublé le recueillement des fidèles qui remplissent à présent la moitié de l’église. Ce n’est qu’après avoir refermé le portail en bois derrière nous qu’Axel me souffle à l’oreille :
« Cela ne m’étonnerait pas que son père ou son grand-père soit enterré dans le cimetière… J’ai bien cru à un moment qu’elle allait nous faire un arrêt cardiaque ! »
Je n’ai pas le temps de réagir : un homme nous a suivis.
« Excusez-moi, messieurs… »
Il a prononcé sa phrase en français, avec un fort accent allemand. Le temps de nous retourner et il nous a rejoints sur l’herbe rendue glissante par la pluie.
« Vous êtes bien français, n’est-ce pas ? insiste-t-il en boutonnant sa parka en cuir marron.
— En effet, mais mon ami est allemand. Pourquoi cette question ? »
Instinctivement, je me suis mis sur la défensive. Il a pu écouter notre entretien avec la femme dans l’église. Nos questions ou notre curiosité lui ont peut-être déplu. Pourtant, l’homme ne manifeste aucune intention agressive. Il arbore déjà un grand sourire en nous tendant la main.
« Je vous ai entendus dans l’église parler la langue de Molière et je n’ai pas résisté. Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue à Landsberg am Lech ! Vous êtes en vacances ? »
J’aurais pu lui répondre par l’affirmative et nous aurions entamé une discussion sur les excursions à réaliser le long de la Route romantique. Mais je n’ai pas envie de mentir : nous sommes en 2012, plus de soixante ans après la guerre, et je n’ai rien à cacher.
« Pas exactement, non ! Nous préparons un livre sur le séjour de Hitler à la prison de Landsberg. Sur les conditions dans lesquelles il a écrit Mein Kampf .
— Vous avez de la chance ! Je suis sans doute l’un des meilleurs connaisseurs de cet… épisode de l’histoire allemande ! Je sais tout sur la “Bible du nazisme”, comme on l’a appelée ! »
Devant nos mines effarées, il nous explique qu’il est professeur d’histoire, ou plutôt qu’il l’était, qu’il a consacré de nombreuses années à étudier ce qui s’est passé à la forteresse, qu’il a lu tout ce qui s’est écrit sur le sujet – « De bonnes et de très mauvaises choses » –, et qu’il serait ravi de pouvoir nous aider.
« Du reste, si vous n’avez rien à faire, je vous invite à boire une bonne bière dans une brasserie, juste à côté ! »
D’où sort-il ? Que veut-il ? Quelles sont ses intentions ? Pourquoi cette soudaine sollicitude ? Les questions se multiplient, mais un examen sommaire de la situation me rassure : après tout, nous sommes deux et il est seul. Un rapide coup d’œil entre Axel et moi, et nous décidons d’accepter.
Quelques minutes plus tard, nous sommes confortablement installés sur la banquette d’une cafétéria de centre commercial – la brasserie était fermée. L’homme, dont nous ignorons toujours le nom, est massif, le corps lourd. Ce qui frappe, ce sont les joues couperosées au-dessus desquelles se détachent des yeux d’un bleu profond. Les cheveux très courts sont gris, trahissant la soixantaine. Il est bien habillé, pantalon gris et veste sombre sur chemise blanche. Ses mains sont fines et manucurées.
« Allez-y ! Posez vos questions. Je me ferai un plaisir d’y répondre ! »
Il a la voix rauque d’un ancien fumeur et s’adresse à nous avec une extrême amabilité. Trop simple… Trop rapide…
« Attendez, monsieur…
— Je vous en prie, appelez-moi Günther.
— Bon, Günther, nous ne savons pas qui vous êtes, vous surgissez de l’église, et vous nous invitez à prendre un verre en nous déclarant que vous êtes un grand connaisseur de Mein Kampf … Nous avons le droit d’être un peu surpris…
— Vous avez raison, répond-il après quelques secondes de silence pendant lesquelles il a semblé nous jauger. Je vous rassure : je ne suis pas le chef d’un groupe néonazi et encore moins un sympathisant du III
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