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Le Coeur de la Croix

Le Coeur de la Croix

Titel: Le Coeur de la Croix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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quelques amis, et de nombreux
ennemis. Il se demandait souvent comment ceux-ci l’accueilleraient à son
retour. Du reste, que savaient-ils de son histoire ? Il n’était ni le
premier frère à fauter, ni le premier à renier la Croix.
    D’ordinaire, en cas de faute commise par un frère, un
tribunal de pénitence statuait. De la simonie à la trahison, en passant par la
sodomie et la violation du secret du chapitre, bien des cas étaient couverts et
punis d’une peine proportionnelle à la faute commise. En ce qui concernait
Morgennes – un mélange de trahison et de reniement de la foi –, la
punition la plus légère à laquelle il devait se préparer était la flagellation,
suivie de l’exclusion de l’ordre et de l’obligation d’entrer dans un ordre plus
dur (celui des Bénédictins, par exemple). À moins qu’on ne l’enferme pour le
restant de ses jours ; auquel cas il serait emprisonné dans les caveaux
d’un prieuré, en Terre sainte ou en Occident. (Il pouvait même être tué :
il n’était plus chrétien, ce n’était plus un péché…)
    Le jour qu’il laissait derrière lui était peut-être le
dernier, à moins que… Il existait une échappatoire : se laisser délier de
sa profession de foi par le frère chapelain du krak. Morgennes contint un
frisson. Il savait que tous le presseraient d’accepter cette solution.
     
    Étrange apparition que celle, au beau milieu de la nuit, du
krak des Chevaliers sous la lumière des étoiles. En fait, le krak n’apparaît
pas : il se dresse soudain comme un ogre, il surgit des montagnes ;
il se confond avec elles, si bien que c’est le djebel Ansariya tout entier qui
paraît se lever pour les contempler, et mieux les écraser.
    Massada, Fémie et Yahyah ne purent s’empêcher d’éprouver un
sentiment de crainte respectueuse. La simple vision de ce château leur aurait
donné envie de fuir s’ils avaient été l’ennemi.
    On disait d’ailleurs que, la nuit, les assauts cessaient
d’eux-mêmes. On disait aussi que le krak était imprenable, et que les
précipices à ses pieds s’agrandissaient pour engloutir ses adversaires.
    — Il faut pourtant bien qu’il ait été pris, puisque les
Francs y sont et que ce sont des Sarrasins qui l’occupaient avant eux, fit
remarquer Massada.
    — Des Kurdes, rectifia Morgennes. D’où son ancien nom,
Hosn el-Akrad : le château des Kurdes. Mais ce que vous voyez là n’a pas
grand-chose à voir avec ce que les hommes du premier comte de Tripoli ont pris
d’assaut autrefois. Ils y ont ajouté une seconde enceinte, surélevé la
première, creusé des puits, bâti des citernes, haussé les courtines, fait
toutes sortes de travaux qui le rendent impossible à prendre.
    — À moins de ruser, fit Massada.
    — À moins de ruser, évidemment. Mais, jusqu’à présent,
la ruse n’a pas été employée contre lui. D’ailleurs, peut-on ruser avec la
montagne et la pierre ? Je ne crois pas.
    — Avec elles, non, mais avec les hommes, oui, ajouta
Massada.
    — Laisse-moi mes espoirs, dit Morgennes. Ne me fais pas
de peine. J’aime ce château comme on aime un animal. Je lui voue plus que de
l’admiration, plus que de l’amitié : je l’aime. Si je me souviens bien, la
première fois que je l’ai vu, c’était en 1163. Je débarquais tout juste, jeune
envoyé du comte de Flandre Philippe d’Alsace, pour assister au couronnement
d’Amaury. Je n’étais pas encore au service de l’Hôpital, mais n’allais pas
tarder à y entrer. C’est en voyant le krak que je me suis décidé. C’est ce
château qui m’a vaincu – moi qui jusqu’alors avais toujours refusé
d’approcher quoique ce fût de religieux. Cette forteresse est pour moi la plus
belle des cathédrales, le plus beau des cantiques…
    Ils le laissèrent à ses pensées.
    Yahyah caressait d’une main distraite la chienne, qu’il
avait surnommée Babouche. (« Pourquoi Babouche ? avait demandé
Fémie. – Parce que c’est ce qu’elle préfère », avait répondu Yahyah,
désolé, en montrant à sa maîtresse ses babouches à demi dévorées. Fémie avait
poussé un petit cri d’horreur et grondé la chienne – qui était partie, la
queue entre les pattes, se blottir dans un coin de la carriole.)
    Massada ne quittait pas des yeux celui qu’il hésitait encore
à nommer son « sauveur », son « ami ». Celui qui allait lui
éviter un surcroît d’infamie. S’il avait eu du courage, il lui aurait

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