Le combat des Reines
fresque représentant saint Jean brûlé vif, bien qu'il émergeât
indemne de ses tourments. Demontaigu, mains jointes, tête basse, était
agenouillé devant l'Évangéliste. Je le rejoignis.
Je l'effleurai
de la main.
— Mon
cœur *.
— Comment
va Langton ? s'enquit-il en se retournant.
Je haussai les
épaules.
— Un autre gros
berger déplorant son sort.
Bertrand sourit.
Je fis un bref compte rendu de ma rencontre avec Chapeleys. Il mit un doigt sur
ses lèvres et m'attira dans l'ombre, de l'autre côté de la statue. Il resta un
moment accroupi en perçant les ténèbres du regard.
Puis il se
tourna vers moi.
— Mathilde,
vous m'avez appelé mon cœur * ; je le suis tout comme vous êtes le
mien.
— Même si
vous êtes prêtre ? le taquinai-je en ravalant mes larmes.
— Ce que je
suis, Mathilde, n'a rien à voir avec ce que je ressens. Être proche de vous,
c'est être...
Il
s'interrompit.
— Aimé ?
interrogeai-je en me rendant compte que ma question résonnait dans la pièce
profonde dont la lumière vibrante animait les peintures.
— Aimé !
admit-il. Être avec vous, c'est ressentir une plénitude que je n'ai onc senti
auparavant. Bon, ajouta-t-il avec un clin d'œil, j'en ai dit assez.
Il saisit une
boucle de mes cheveux.
— Parfois,
Mathilde, je ne crois en rien si ce n'est en vous. Vous êtes mon Dieu, ma
religion.
Il me caressa la
joue du bout du doigt puis laissa retomber sa main.
— Oh,
Mathilde, je sais bien que je suis aussi un prêtre, un templier dont l'ordre
bien-aimé a été détruit ! Moi et mes compagnons sommes pourchassés comme
des rats dans une grange. Il y a un an nous étions la gloire de l'Europe ;
à présent les rois de la terre sont devenus nos ennemis. Non, écoutez, Mathilde !
Il écarta d'un
geste toute interruption.
— Alexandre
de Lisbonne et ses Noctales sont revenus en Angleterre. Ils agissent au
nom du pape ; Philippe de France y a veillé. Ils nous recherchent, non
seulement nous, mais notre trésor, nos reliques. Pour l'heure, ne vous
inquiétez pas, Mathilde, je suis en sécurité. J'ai expliqué qu'étant un nuntius ,
un messager de mon ordre, je ne demeurais guère assez longtemps au même endroit
pour que les espions de Philippe me reconnaissent. D'autres n'ont pas autant de
chance et doivent rester dans l'ombre.
Il jeta un
rapide coup d'œil par-dessus mon épaule.
— Vous
n'ignorez pas aussi que quand nous le pouvons nous ripostons. Un de nos
sergents, un Français nommé Jean Ausel, et d'autres sont arrivés ici pour nous
venger. Ausel est un assassin, un tueur de métier, un soldat. Lui aussi est en
quête de notre trésor, dont une partie — en fait une très grosse
part —, précisa Demontaigu, amer, en montrant la porte, était en
possession de Langton avant sa chute. Si Ausel était ici, Mathilde, il tuerait
Langton. Or donc, Chapeleys veut s'enfuir. Je me demande s'il sait quelque
chose sur la fortune disparue.
— Bertrand,
m'enquis-je, presque suffoquée par une peur indicible, que va-t-il se passer ?
— Je ne
peux répondre, Mathilde, répliqua-t-il d'une voix rauque, mais Chapeleys
représente bien notre époque. Chacun choisit son camp. C'est ce qu'a fait
Langton. S'il était libre, il rejoindrait Winchelsea et ses compagnons. Cette
affaire à Westminster, le roi et ses seigneurs... ils sont là à tourner en rond
comme deux faucons qui se heurtent en plein vol et ne parviennent pas à se
dégager. Édouard devra partir en guerre, mais il n'a pas de troupes. Gaveston
pourrait être arrêté et occis, le roi ne laisserait jamais un tel acte impuni.
Pendant ce temps Philippe de France intrigue avec ardeur. Nous avons encore des
amis proches de sa chancellerie privée. Ils prétendent que le souverain a
l'intention de susciter des troubles en Angleterre.
Mon exclamation
lui fit hocher la tête.
— Le
monarque français tend ses filets de tous côtés. Les rumeurs ne nous éclairent
point, mais les ragots venant de la chancellerie privée affirment qu'il a
recours à quelqu'un nommé l' Ancilla Venenata.
— L'empoisonneuse ?
m'écriai-je.
Bertrand leva la
main. Je tendis l'oreille. Le faible murmure de la conversation s'était éteint.
Nous nous empressâmes de nous relever. Laissant Demontaigu dans la chapelle, je
retournai dans la chambre de Langton. Guido en avait terminé et se rinçait les
mains dans le lavarium près du seuil. Langton prenait ses aises dans son lit.
Je priai en
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