Le combat des Reines
ponts de fortune et
d'innombrables appentis autour des cours et des jardins. Dans cet ensemble, les
constructions qui couvraient une étendue plus vaste que celle d'un grand
village répondaient à une foule de noms : la cour de la boulange, le
passage pavé, la dépense royale, la cuisine privée, la cour intérieure, la cour
extérieure, la cour aux poissons, la cour des bouchers, le boulevard, le
quartier des vins. C'était un labyrinthe de bâtisses, de bailes, de dépôts, de
services de la chancellerie et de l'Échiquier. Je m'y perdais. Mais Bertrand
avait étudié avec soin ce réseau enchevêtré. Il en connaissait les passages
secrets et les poternes oubliées parce que, comme il me l'expliqua, un fugitif
comme lui devait toujours être prêt à fuir. Ces mots me glacèrent. Je le
questionnai sur Ausel mais il hocha la tête et me fit traverser un jardin
encore gelé, franchir une porte sinistre, pénétrer dans un couloir ténébreux,
monter un escalier et entrer dans la triste chapelle St Benedict.
La chapelle
n'était qu'une salle carrée et voûtée. Des torches à la flamme tremblotante
illuminaient les fresques dont la plupart représentaient des oiseaux et des
symboles des Écritures : le phénix, le pélican, la sirène. Je me souviens
bien de l'une d'entre elles — un hibou assailli par des pies —,
une allégorie démontrant que les faiseurs d'embarras oisifs et les commères de
ce monde se raillent de la sagesse. Je me demandai si Chapeleys était un sage.
Le petit chœur était dans l'ombre mais, sur la droite, l'autel de Notre-Dame
brillait à la lueur des cierges. Chapeleys, assis sur un tabouret, contemplait
la statue. La Vierge, représentée en Reine des Cieux, tenait dans ses bras
l'Enfant Jésus. Dès que Chapeleys nous vit, il se dressa et sortit de la
pénombre comme une souris craintive. Il jeta un regard soupçonneux à Demontaigu
jusqu'à ce que je le présente comme l'un des clercs de la reine.
— Il faut
que je rencontre le roi ! Il faut que je rencontre le roi !
Chapeleys
embrassa du regard les silhouettes qui dansaient sur les murs. Un rat courut à
toute vitesse sur les dalles ébréchées du sol. Un doigt sur les lèvres, l'homme
gémit et serra plus fort le sac de la chancellerie, comme si c'était un
talisman contre les ténèbres menaçantes. Je ne parvins ni à le calmer ni à
comprendre la froide terreur qui l'avait envahi. Je l'informai qu'il ne pouvait
rencontrer le souverain sur-le-champ — c'était la veille de l'Annonciation
et ce soir-là Édouard avait l'intention de festoyer et de banqueter dans la
grand-salle, geste d'amitié envers les barons et les envoyés français. En
réalité, ce n'était qu'une façon de les amadouer pour faire durer les choses.
— Bon, bon,
acquiesça Chapeleys. Alors que faire ?
— Vous
pouvez rester chez moi, proposa Bertrand.
Il observait
Chapeleys avec curiosité comme s'il le jaugeait.
— Êtes-vous
le clerc de Langton ?
— Bien sûr !
Demontaigu fit
un pas en avant.
— Son
trésor... Savez-vous où est son trésor ?
Chapeleys aurait
détalé si je ne l'avais pas retenu par le bras.
Je fis signe à
Bertrand de reculer.
— Messire,
les questions que vous pose mon ami vous seront derechef posées quand vous
serez devant le roi. Sa Grâce exigera des réponses. Mais restons-en là pour le
moment.
Notre
interlocuteur sembla soulagé. Il nous suivit hors de la chapelle jusque dans
une cour déserte. Nous la traversâmes puis montâmes dans une aile du Vieux
Palais où logeait Demontaigu.
— Il n'y a
pas de danger ici, déclara ce dernier, haletant, quand nous fûmes en haut des
marches.
Il montra le
couloir mal éclairé.
— Ma
chambre est au coin. C'était, naguère, une partie des appartements royaux :
la porte est donc renforcée par des verrous et une serrure.
Chapeleys semblait
hésiter.
— Il n'y a
pas d'autre endroit possible, précisai-je. Vous serez en sécurité, je vous le
jure, maître Chapeleys.
Il finit par
accepter et Demontaigu ouvrit sa chambre. La solide porte était garnie de clous
de fer et de ferrures ; les gonds étaient en cuir épais et dur. La
serrure, œuvre sans doute d'un artisan émérite de Londres, était fixée dans le
bois afin que l'on puisse faire tourner la clé à la fois de l'extérieur et de
l'intérieur. Demontaigu la ferma derrière nous, tira les verrous puis s'écarta,
conscient qu'il ne devait pas effrayer davantage ce fuyard
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