Le combat des Reines
cérémonie qu'un
mouvement du menton vers la reine Marguerite, se tourna vers Lincoln.
— Messire,
vous devez nous faire part de certaines difficultés.
Warwick fouilla
sous la table et tendit à Lincoln un rouleau attaché d'un ruban vert. Le comte
le dénoua et posa le parchemin à plat. Il salua d'abord avec respect Winchelsea
et Kedyngton, remerciant ce dernier pour son hospitalité. Levant la tête, il
adressa un aimable compliment à la reine sans se préoccuper de Pembroke et de
Winchelsea qui tambourinaient sur la table. Puis il énuméra les gravamina — les
doléances — des barons, suivies par les articuli — les
articles —, préludes aux changements. Je prêtai une oreille attentive. Ce
n'étaient alors que des mots, ce ne sont plus aujourd'hui que des mots oubliés,
mais ils exprimaient la haine qu'éprouvaient les barons envers Gaveston. Le
document, préparé par un habile juriste ou par un clerc de la chancellerie, en
vint bientôt au fond de l'affaire. La question n'était pas l'amour qu'Édouard
portait à Gaveston ni même qu'il le couvrît de faveurs, mais qu'il ignorât ceux
qui, de naissance, devaient l'inspirer et le guider, confiant ainsi le royaume
et le conseil à un parvenu. En un mot, ce qu'ils souhaitaient, c'était la mort
de Gaveston, mais sans le formuler expressément. En termes choisis et en
phrases bien tournées, ils requéraient la convocation d'un parlement afin de
redresser maints torts et exigeaient que le roi s'engage à régner avec justice,
qu'il prenne l'avis de ceux qui, par leur origine et par la grâce de Dieu,
étaient qualifiés pour le donner. Et surtout, ils réclamaient le départ de Gaveston.
Ils voulaient qu'on l'arrête et qu'on l'emprisonne afin qu'il réponde aux
accusations portées contre lui : abus de la faveur royale, pillage du
Trésor, violation de la paix dans le pays. Je pourrais continuer la liste, mais
reportez-vous aux chroniques ou aux archives de la chancellerie et vous y
trouverez ce même réquisitoire proféré par Lincoln en ce clair jour de mars, il
y a tant et tant d'années.
Les barons
n'étaient pas d'humeur à se montrer conciliants. Lincoln frappa du poing sur la
table et insista pour que ce qu'ils demandaient leur soit accordé avant Pâques
sans délai ni réserve. Quand il eut terminé sa harangue, Winchelsea se tourna
vers la reine douairière. L'archevêque était un stratège-né, un homme habitué
aux attaques et contre-attaques des débats, aux discours enflammés. N'aimant ni
le jeune roi ni son père, il laissait maintenant libre cours à son venin et à
son animosité. Il faisait remarquer au souverain, par le biais de la reine
douairière, qu'il avait violé le serment prêté lors de son couronnement et que
la captivité de Langton était un coup direct porté à l'Église. Édouard
encourait la terrible sentence d'excommunication que lui, Winchelsea, étendrait
sans nul doute à Gaveston. Puis le prélat aborda d'autres sujets. Il expliqua à
la reine douairière à quel point la façon dont on traitait l'Église en
Angleterre, tout comme le refus obstiné du roi de prendre des mesures efficaces
contre les Templiers, affligeaient le Saint-Père. Ces mots me glacèrent le
cœur. Je jetai un coup d'œil sur Marguerite. Assise, un air imperturbable sur
son beau visage, les yeux mi-clos, la tête tournée, elle paraissait écouter
avec beaucoup d'attention tout ce qui se disait.
Quand Winchelsea
se tut, l'abbé Kedyngton invita la souveraine à répondre. Mais elle se contenta
de fixer la table. Elle se tourna vers la gauche comme si elle allait me
parler, puis vers la droite où se trouvaient Margaret de Cornouailles, Agnès et
Guido. Enfin, elle se cacha le visage dans les mains et se mit à pleurer. Des
sanglots silencieux, étouffés, qui faisaient trembler ses épaules. Elle
s'essuya les yeux du revers de la main et, relevant la tête, fit avec solennité
le signe de la croix. Elle prit alors la parole, au début d'une voix si basse
que les seigneurs au bout de la table devaient tendre l'oreille pour
l'entendre. Elle s'était néanmoins bien préparée. Elle évoqua les hauts faits
du règne de feu son époux et la communauté du royaume ; elle rappela le
principe de Bracton [9] selon
lequel « ce qui touchait tout le monde devait être approuvé par tous »,
les tendres années de son beau-fils, le besoin qu'il avait de recevoir de bons
conseils, son amour pour le pays, son affection naturelle pour
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