Le combat des Reines
soleil et
resplendissait de brillantes couleurs. Le quatrième mur était garni de créneaux
et possédait même, au-dessus de son portail à double battant, un petit corps de
garde pour les soldats. Le jardin de l'abbé était ce qu'un poète pourrait
nommer un concetto . Orienté avec soin afin de recevoir le soleil, il
présentait tous les attributs d'un jardin bien pensé avec ses dallages
encaissés, ses pelouses aplanies, ses massifs, ses plates-bandes de simples, ses
bancs de pierre, ses banquettes d'herbe et ses charmilles treillissées où des
piquets de cuivre fixés par des brins d'osier supportaient rosiers et treilles.
De petits viviers miroitaient. L'eau, jaillissant de fontaines en forme de
faucons de bronze, retombait en gargouillant et en éclaboussant dans des
bassins doublés de plomb. De part et d'autre du portail s'épanouissaient quatre
luxuriants ifs qui symbolisaient, selon l'abbé, la Sainte-Trinité et la Vierge
Marie. On avait aménagé la pelouse centrale pour le concilium et érigé
un pavillon éclatant aux armes de l'abbaye — trois colombes sur champ
de sinople. À l'intérieur se trouvait une longue table sur tréteaux couverte
d'une toile cirée. Coupes, gobelets, tranchoirs et bols scintillaient sous la
lumière s'infiltrant par les ouvertures pratiquées en haut et sur les côtés de
la tente. Le doux parfum des herbes se mêlait à celui des fleurs fraîchement
coupées et à la fumée odorante qui s'élevait des encensoirs aux bords dorés
regorgeant de grains ardents. Chaires et tabourets en nombre avaient été placés
à chaque extrémité pour les barons et la délégation de la reine douairière. Au
centre, de chaque côté, une chaire à allure de trône était réservée à Robert
Winchelsea et à l'abbé Kedyngton, chargés de la médiation et de l'arbitrage.
Nous fûmes introduits dans le pavillon. La reine et les principaux barons,
Lincoln, Pembroke, Warwick, s'assirent. Lincoln avait une masse de cheveux
blancs et l'air affable, il souriait cordialement, les mains sur sa panse généreuse.
À sa gauche se tenait Aymer de Valence, comte de Pembroke, grand et anguleux,
le visage émacié, le teint jaune ; sa moustache et sa barbe aile de
corbeau, taillées avec soin, mettaient en évidence sa bouche efféminée aux
lèvres minces. Il plissait les yeux et faisait la moue comme s'il se demandait
s'il était bien à sa place. À droite de Lincoln était installé le comte de
Warwick. Il était froid et distant, les traits durs, ce que soulignaient encore
ses petits yeux qui ne cillaient pas, son nez cassé et sa bouche protubérante
comme celle d'un mastiff furieux. On apporta les plats. C'était une légère
collation, si je m'en souviens bien : des pâtés de venaison suivis de
massepain, arrosés de vins rouges, blancs et doux. J'en choisis un, du
maumeneye, qui avait un goût de pignon, de cannelle et d'épices variées. Assise
sur un tabouret derrière la reine douairière, je chuchotai assez haut pour être
entendue qu'il ne fallait point servir ce genre de vin à ma maîtresse dans
l'état où elle se trouvait. Une façon d'évoquer la bonne nouvelle qui
concernait peut-être Isabelle. L'abbé Kedyngton dit les grâces. Winchelsea
accorda sa bénédiction et nous rappela que chaque repas, étant une
commémoration de l'Eucharistie, devait être pris dans la paix et l'harmonie. Nous
n'avions point le choix. Tous, nous imitant, dînèrent sans broncher. La reine
douairière salua de sa coupe les trois barons, en signe de confiance sincère,
mais un dialogue plus approfondi s'avérait impossible. L'abbé Kedyngton avait
fait preuve de subtilité. Il était fort clair que toute conversation réelle
entre les deux groupes, ou parmi leurs membres, était habilement écartée. Les
rabats du pavillon avaient été relevés et un chœur de moines novices entonnait
des chansons romanesques, parmi lesquelles celle-ci, que j'aimais beaucoup. Je
me souviens des premiers mots :
Douce dame, pure
et alliciante.
Je dois
prendre congé.
J'en ai le
cœur plus navré
Qu'on le
pourrait imaginer.
J'observai
Winchelsea. Carré dans sa chaire monumentale, il portait la bure brune d'un
religieux. Il avait le visage enflammé, ses hautes pommettes et ses yeux
enfoncés reflétaient son ire. Il martelait la table de ses doigts osseux,
marquant par là sa hâte d'en venir au fait. Kedyngton quitta enfin la tente. Le
chœur se tut. Quand l'abbé fut revenu, Winchelsea, sans plus de
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