Le combat des Reines
les barons et
précisa que Gaveston jouissait d'une position particulière dans le cœur et la
vie du roi. Elle en vint enfin à ma maîtresse. Elle commença par des allusions,
puis se fit plus claire. Il se pouvait que la reine fût grosse, qu'elle attende
un héritier. Le temps n'était pas aux conflits, aux dissensions. Le royaume
devait rester uni. Il fallait donner au souverain le temps de réfléchir aux
doléances et aux demandes de ses barons. Elle ferait de son mieux pour soutenir
leur cause, mais il était inutile de presser les choses. Il était clair à
l'entendre qu'elle avait rencontré un à un les grands seigneurs pour négocier
avec eux. Lincoln, Warwick et Pembroke étaient manifestement émus. Winchelsea
semblait plus inflexible.
— Il y a
d'autres problèmes, tempêta-t-il, son nez busqué fendant l'air, la colère
marbrant de taches rouges ses joues creuses. Le Saint-Père a beaucoup insisté :
il faut écraser l'ordre du Temple.
— Du calme,
monseigneur, intervint la reine douairière. L'affaire est toujours sub
judice 2 — je crois savoir
que le roi Jacques d'Aragon est lui aussi décidé à découvrir ce qui se cache
sous les accusations portées contre les Templiers et qu'il a différé les
poursuites.
Winchelsea opina
d'un air mécontent.
— Mais il y
a la question de l'église du Nouveau Temple, riposta-t-il, qui se trouve dans
mon archidiocèse. C'est le cœur, le centre, de l'ordre du Temple en ce royaume.
Je suis, madame, tout prêt à accepter vos dires à condition que cette église du
Nouveau Temple et ce qui l'entoure soient concédés à l'archevêché de
Cantorbéry. Après tout, ce n'est pas seulement une église du Temple, n'est-ce
pas ? Elle renferme aussi les restes de vos révérés ancêtres, dit-il à
l'adresse du sombre Pembroke.
Ce dernier
acquiesça avec vigueur. Marguerite répondit qu'elle comprenait et adresserait
une supplique au roi. Les barons semblèrent revenir à de meilleurs sentiments.
J'étais pourtant fort mal à l'aise. Les magistri scholæ — les
maîtres d'école — posent la question : Quod erat
demonstrandum — que faut-il prouver ? Ils prétendent que
tout sujet doit être soumis à la rigueur de la raison. Mais nous ne nous
réduisons tout de même pas à cela. L'un des attraits le plus fort des herbes,
c'est qu'elles sont davantage que la somme de leurs parties, racines, tige et
fleur. Elles peuvent aussi être sources de bienfaits ou de méfaits invisibles.
Si cela est vrai pour de simples plantes, ne l'est-ce pas plus encore pour
nous, corps, esprit et âme ? J'écoutais le débat. Oh, il était logique,
mais il impliquait autre chose, quelque chose de dissimulé, de dangereux. Le
recul nous rend tous philosophes, mais, à l'époque, je subodorais la trahison.
Je sentais que tout cela s'achèverait dans la violence. Gaveston était frappé du
sceau de l'Ange de la Mort. Il était manifeste que ces grands barons
bouillaient de rage. J'étais pourtant loin d'avoir pris la mesure de toute la
malignité des adversaires d'Édouard.
On parvint enfin
à un accord. Les barons exprimèrent leur joie et leur espoir qu'Isabelle soit
bel et bien enceinte. Ils lui adressèrent leurs loyales félicitations. Quant
aux questions pendantes, ils repousseraient leurs revendications pour la
convocation d'un parlement. Ils comprenaient que le roi aurait fort à faire auprès
de sa jeune épouse et que, par conséquent, l'affaire du conseil devrait
attendre. De son côté, Marguerite promit de présenter leurs doléances au
souverain, ainsi que la requête spécifique de Winchelsea concernant l'église du
Nouveau Temple. D'autres points mineurs furent rapidement traités et la réunion
prit fin.
La reine
douairière, main dans la main avec Lincoln, ouvrit la marche en sortant du
pavillon dans le jardin. J'ouïs l'exclamation étouffée que poussa Agnès et
jetai un coup d'œil sur ma droite. Marigny, Nogaret et Plaisians venaient
d'apparaître. Ils se tenaient en deçà du portail avec deux autres hommes, dans
l'ombre, derrière eux. Ces derniers emboîtèrent le pas à Marigny lorsqu'il
traversa la pelouse pour se diriger vers Marguerite. Je reconnus Alexandre de
Lisbonne et l'un de ses lieutenants. Les ambassadeurs français portaient tous
des habits noirs, avec une touche de blanc au col et aux poignets. Toute
arrogance, ils marchaient d'un air conquérant. Ils n'avaient même pas pris la
peine de se faire accompagner par l'abbé de
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