Le combat des Reines
comme si j'avais oublié mon propre patois.
— Mathilde,
c'est bon de vous revoir. Les vigiles m'ont dit combien vous êtes proche de la
reine.
Il cligna des
yeux.
— Vous avez
toujours été intelligente, Mathilde. Écoutez-moi. Je ne suis à Londres que pour
la journée. Je dois retourner à Douvres à la fin de la semaine pour embarquer
sur La Cinquième , la cogghe qui revient de Wissant. Je ne vous ai point
apporté de lettre de votre mère : elle a pensé que cela pourrait être
dangereux. Non, non.
Il fit un signe
de dénégation.
— ... votre
mère se porte bien. Elle vous envoie son affection. Elle vieillit, comme nous
tous, mais mes fils l'aident à la ferme. Tout était tranquille.
Il haussa les
épaules.
— Les
saisons se succédaient. Personne ne savait où vous étiez partie après
l'arrestation de votre oncle et le chaos à Paris. À la campagne aussi ce
n'était que confusion. Les commanderies et les biens des templiers ont été
saisis et saccagés, les membres de leur communauté arrêtés et jetés en prison.
On a parlé de torture, de l'humiliation et de l'exécution cruelle des
templiers. Les proclamations royales en ont fait des fils de Satan, des
sodomites, des idolâtres, des hérétiques et des sorciers. Peu nombreux sont
ceux qui ont cru ces mensonges. C'était l'affaire du roi, de son goût du lucre,
de son appétit de pouvoir.
Il
s'interrompit.
— Vous avez
envoyé un message à votre mère disant que vous étiez saine et sauve, n'est-ce
pas ?
J'acquiesçai.
— Nul n'a
prêté foi à ces racontars sur des hommes comme votre oncle, mais nous avons
estimé que c'était une question qui ne concernait que les grands de ce monde.
Je n'ai jamais cru que votre mère était en danger jusqu'au mois dernier. Des
groupes de cavaliers, des mercenaires en noir appelés les Noctales , ont
fait irruption à Brétigny. Ils prétendaient être à la poursuite de templiers
fugitifs, bien qu'il fût notoire que fort peu se soient échappés. En un mot,
Mathilde, pendant au moins dix jours, à la faveur d'édits royaux, les Noctales ont réquisitionné la ferme de votre mère.
Il me lâcha la
main et se frotta le visage.
— L'épreuve
ne fut guère agréable. Vous connaissez la loi : les troupes royales,
pourvues de billets de cantonnement, peuvent se loger dans n'importe quel
château, village ou ferme.
— Ma mère
n'a pas été blessée, au moins ?
— Nenni. Je
suis allé chez elle. Les Noctales sont des brutes, la lie des quartiers
malfamés. Ils ont fait main basse sur la provende et le vin, ont festoyé et
dormi dans les écuries et les granges. J'ai fait de mon mieux. Je me suis
insurgé et ai demandé pourquoi Catherine de Clairebon devait être la seule à
les héberger.
— Leur chef
était-il Alexandre de Lisbonne ?
Raoul fit une
petite grimace.
— Non, le
meneur de ces rapaces était un Bourguignon nommé La Maru. C'était, et c'est
toujours, je crois, un ecclésiastique défroqué. Le regard froid, l'âme d'une
fouine, il était différent des autres. Il a rejeté ma requête en disant que je
n'avais qu'à m'aller plaindre auprès du roi au Louvre ou, si je préférais, à
Mathilde de Clairebon réfugiée chez les Goddams6 [11] à Westminster. Votre mère m'a laissé entendre que La Maru a moult fois répété
cette allusion avant de partir et qu'il a promis qu'ils pourraient bien revenir
avant la Saint-Jean.
J'essayai de
maîtriser ma terreur. Raoul savait, je savais, ma mère savait, Marigny savait,
quelle était la raison de cet abus, ce qui expliquait la menace larvée dans les
jardins de l'abbaye. On me punissait, on m'avertissait, à travers ma mère, à
cause de l'hostilité que je manifestais envers Philippe et ses sbires issus de
l'Enfer. J'interrogeai Raoul plus en détail, mais il ne put rien ajouter.
Peut-être désirait-il me ménager et m'épargner la litanie des mesquines
cruautés et humiliations infligées à ma mère. Il était tendu et avait hâte de
quitter cet environnement insolite. Je lui dis d'attendre, me précipitai dans
ma chambre et rapportai de mes précieuses réserves deux petites bourses pleines
de pièces d'argent. Je lui expliquai que l'une était pour lui et l'autre pour
ma mère. Il refusa. Je les lui fourrai néanmoins dans la main et lui demandai
de dire à ma mère que je l'aimais et que j'allais bien, mais que, pour le
moment, je ne pouvais regagner la France : ce serait trop périlleux. Il
m'écouta avec
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