Le combat des Reines
commérages de la Cour. Et, tout le
temps, ces yeux juvéniles et perspicaces dans cette vieille figure tannée me
scrutaient avec attention. Je devais palper Langton, examiner ses ulcères. Il
prétendit que ses jambes guérissaient maintenant fort bien. Je lui rétorquai
sur-le-champ que le danger ne tenait pas aux chancres mais à la peau qui se
reformait : elle devait se régénérer entièrement sans éclater. Il ne
cessait de m'observer. Je dégrafai ma mante et délaçai le haut de ma robe qui
me serrait étroitement le cou. Je m'y employai avec délicatesse et grâce, me
penchant en avant et souriant à ce goupil qui croyait en vérité recevoir un
chapon pour son dîner. Il me pria de lui verser un peu de vin et m'invita à me
joindre à lui. Je m'exécutai. Je bus une lampée au gobelet et mordis dans une
sucrerie, des dattes enrobées de miel. Leur douceur m'emplit la bouche. Je
m'éclaircis la gorge et repris mes bavardages en pouffant quand Langton se
pencha vers moi. Il me pressa un sein avec douceur et le caressa, admiratif. Il
finit par admettre que ses ulcères, peut-être, devraient être examinés. Il se
leva, lança sa tunique sur une chaire, retroussa sa chemise de lin et baissa
son haut-de-chausses comme s'il était un jeune garçon se dévêtant pour nager
dans une rivière. Puis il alla en se dandinant vers le lit sur lequel il se
laissa choir, s'adossa aux oreillers et tapota la couverture près de lui. Je
m'avançai et repoussai la courtepointe. Les lésions s'étaient très bien refermées
et n'étaient plus que de légères marques pourpres. Je les regardai en massant
du doigt la chair striée de veines sous le genou. Langton tendit derechef la
main, me saisit le sein et en caressa le mamelon. Je ris avec coquetterie.
Continuant de rapporter les racontars de la Cour, je passai d'un sujet à
l'autre.
— Le roi
pourchasse toujours les templiers, murmurai-je, en dissimulant mon dégoût au
contact de ce vieillard. Il croit que l'église du Nouveau Temple abrite leurs
richesses ; il est décidé à la fouiller.
Langton se
raidit aussitôt. Je sentis les muscles de sa jambe se durcir, se rigidifier, et
il enleva sa main.
— Quant aux
clercs de la chancellerie, ils ont fort à faire, repris-je. Ils cherchent un
homme qui servait feu le roi : un certain John Hot... ou High...
— John
Highill.
— Oui,
c'est ça !
Langton avait
laissé échapper le nom malgré lui. L'atmosphère se tendit à nouveau. Je me
redressai et contemplai ses jambes charnues.
— Vous avez
raison, monseigneur, constatai-je en souriant : les chancres sont guéris.
Vous avez beaucoup de chance. Puis-je vous recommander de vous laver tous les
jours avec de l'eau chaude et un peu de précieux savon de Castille, puis de
vous rincer avec grand soin ? Veillez au mieux à ce que la peau ne soit
pas irritée.
Je recommençai à
deviser au sujet de la joute entre Gaveston et le chevalier portugais, les
banquets du souverain, ce que la Cour ferait à Pâques, mais je vis que j'avais
atteint mon but. Langton ne s'intéressait plus à moi. Assis sur sa couche, les
yeux fixes, se parlant à voix basse, il était perdu dans ses pensées. Je
m'empressai de prendre congé. Demontaigu me rejoignit dehors. Je mis un doigt
sur mes lèvres. Nous dévalâmes les marches et nous rendîmes sur la pelouse, où
le sergent qui nous attendait nous escorta vers la vaste cour pavée au-delà de
la porte du Lion. J'étais surexcitée, satisfaite de ma ruse, oublieuse du
danger. Ah, l'arrogance est une planche glissante et j'ai payé le prix ! À
peine avions-nous franchi la porte que j'aperçus Ausel, vêtu en frère prêcheur,
la tête rasée, qui, perché sur un petit tonneau, sermonnait la foule, la
captivant par la force et la rhétorique de ses paroles : « Malheur au
jour de ma naissance ! Pourquoi ne suis-je pas mort-né ? Pourquoi
n'ai-je point péri quand j'ai quitté le sein de ma mère ? Si cela était
arrivé, je reposerais à présent en paix, je dormirais paisiblement avec les
rois et les puissants de la terre qui se font construire de larges caveaux
sertis de pierres précieuses. Là, dans la mort, les méchants ne s'affairent
plus ! Les épuisés connaissent le repos éternel... »
Demontaigu me
tapota l'épaule.
— Restez
ici, Mathilde.
J'observai la
foule qui se rassemblait sur la grande étendue dallée. Un groupe de baillis de
la ville conduisaient au pilori des gotons qui avaient racolé le client.
Weitere Kostenlose Bücher