Le combat des Reines
jouant
les jolies damoiselles en détresse. Je savais très bien que dire, que faire. Je
l'implorai. Il colla sa bouche à mon oreille et proféra une obscénité au sujet
de ma mère. Je sus alors que j'avais affaire à un tueur. Il ne me ferait pas
grâce. L'âme de La Maru était remplie de sinistres antichambres et de sombres
pièces ; il était rongé comme un arbre pourrissant, imbibé de poison.
Excité, il m'agrippa les seins. Je me débattis faiblement. Il souleva l'ourlet
de ma robe sous laquelle il glissa la main. Ma ceinture de toile raide le gêna.
Tenant d'une main sa dague, explorant mon corps de l'autre, il était piégé.
— Je vais
dégrafer ma ceinture, bégayai-je.
Il acquiesça.
Mes mains
atteignirent la boucle, puis la petite gaine, dissimulée avec soin, qui
contenait une lame italienne, longue et mince comme un passe-lacet, avec une
pointe acérée et un tranchant dentelé. Je la saisis. La Maru était tout à son
plaisir. Je le frappai à droite, dans le ventre, juste sous la cage thoracique,
d'un brusque coup en remontant. Le choc à lui seul suffit à lui faire lâcher
son arme. Il recula en titubant, yeux écarquillés, haletant, et un affreux
gargouillement lui monta à la gorge. Je n'en restai pas là et frappai derechef,
rapidement, mortellement.
— Dieu
sait, soufflai-je, que je ne voulais point vous occire.
La Maru était
paralysé. Le sang coulait de son nez et de sa bouche comme l'eau d'un pot fêlé.
Il me dévisagea de l'œil vitreux d'un mourant, s'écroula sur les genoux et
bascula de côté sur le sol jonché d'ordures. Je m'accroupis et rassemblai en
hâte mes biens et son poignard. Une ombre bougea sur ma droite. Je pivotai sur
mes talons. Une figure haineuse encapuchonnée fixait les deux dagues que je
tenais.
— À vous de
choisir ! sifflai-je. Soit ça...
Je fis un geste
de la main.
— ... soit
vous pouvez prendre ce que vous voulez et m'escorter hors d'ici.
Onc n'avait vu
cadavre dépouillé avec autant de rapidité et d'habileté ; on eût dit un
pillard sur un champ de bataille. Mon visiteur inattendu, empestant la venelle,
dévêtit le corps de La Maru et enveloppa son butin dans sa chape. J'agitai les
armes.
— Après
vous, messire.
Il eut un petit
sourire. Je levai les poignards.
— On
m'attend sur le quai.
Il me conduisit
hors de la ruelle et respecta sa parole. Des silhouettes sombres sortirent des
portes et des recoins, mais il avait tiré son couteau et, prudentes, elles se
retirèrent. Je devinai que l'affaire avait dû lui rapporter assez pour un mois,
sans parler d'une journée ! Quand je parvins au bout de la venelle, il me
fit signe de continuer d'un geste moqueur avant de disparaître dans les
ténèbres. Je traversai la chaussée pavée. Je ne voyais personne autour de moi.
J'étais trempée de sueur et j'avais le cœur battant. Mes habits et ma robe
étaient souillés, déboutonnés et défaits.
— Mathilde !
Demontaigu
surgit devant moi.
Je me contentai
de m'appuyer contre lui en laissant choir tout ce que je tenais. Il m'enlaça et
intima à un mendiant de garder ses distances. Il se baissa et ramassa ce que
j'avais laissé tomber. Il m'aida à lacer ma robe, rangea la lame et
m'accompagna avec tendresse au cabaret voisin, où il commanda du vin et de quoi
se restaurer. Il ne mangea rien — il me revint que certains jours
Bertrand jeûnait —, mais me nourrit comme une mère l'aurait fait de son
enfant. Au bout d'un moment, je me réchauffai. La terreur et la panique qui me
faisaient trembler se dissipèrent. Réflexion faite, je n'avais pas eu le choix.
J'avais dit la vérité à La Maru. Il était mort parce qu'il l'avait cherché. Je
narrai à Demontaigu ce qui s'était passé. Il m'écouta, puis, comme pour me
distraire, me dit avoir rencontré Ausel, qui lui avait fait part des rumeurs
qui couraient chez les frères selon lesquelles le Temple détiendrait encore de
grands trésors. Une histoire semblable circulait à Cantorbéry, où William de la
More, maître de l'ordre du Temple en Angleterre, était emprisonné. Je hochai la
tête.
— Je sais
de quel trésor il s'agit, remarquai-je, m'efforçant de sourire, et je sais où
il est caché.
Deux heures plus
tard, lavée et changée, je m'agenouillai dans la chambre du souverain sur un
coussin décoré d'asphodèles d'argent. Édouard était assis, nonchalant.
Isabelle, à sa droite, Gaveston, à sa gauche, accotés à une table, ne me
quittaient pas des
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