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Le Condottière

Le Condottière

Titel: Le Condottière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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faire glisser le plus lentement possible sur le talus, au-dessus de la berge, non loin des massifs de lauriers.
    Alors, parce qu'il lui avait bien fallu s'approcher, l'examiner, il avait remarqué ces morsures et ces plaies sur les bras, et il l'avait dit - il regrettait de l'avoir dit - à celui qu'il appelait le Français, le père de la morte, celui qui avait marché des jours sous l'averse, tête nue, dans les ruelles de Dongo, rôdant autour du hangar où l'homme dormait, comme si le cercueil s'y trouvait encore.
    Pauvre Français auquel l'homme avait montré la drague et le talus, auquel il avait trop parlé déjà, décrivant cette jeune fille qu'il ne pourrait plus oublier, blanche et souillée comme le sont parfois les statues.
    L'homme n'avait pas osé dire au Français qu'il avait eu un moment la tentation de la laisser retomber, que les secousses qu'il avait provoquées, avançant puis reculant l'engin, faisant osciller son bras afin de donner du ballant à la main d'acier, avaient peut-être été destinées à ce que la morte se détache alors qu'elle se trouvait encore au-dessus de l'eau. Mais elle s'était agrippée et il n'avait pas osé s'obstiner, comme s'il avait redouté, en l'abandonnant ainsi après avoir profané sa sépulture, de commettre un nouveau sacrilège, de défier ceux qui l'avaient jetée dans le lac, de la tuer une seconde fois, d'attirer ainsi sur lui la vengeance des assassins et la malédiction de Dieu.
    Car on l'avait tuée, il le savait.
    Il avait voulu le faire comprendre au Français, il avait craint - mais peut-être souhaité - que cet homme ne lui posât des questions précises, mais le Français avait la tête dans le malheur et, bien vite, il n'avait plus rien voulu savoir, refusant d'entendre, malade de tristesse, plié en deux, vidant son corps.
    L'homme s'était alors repris. Il devait se taire.
    Il avait fui le Français qu'il avait souvent croisé de nouveau dans les rues vides, balayées par le vent et l'eau boueuse. Il avait répété aux carabiniers ce qu'il leur avait déjà déclaré, comment il avait trouvé la morte, et il avait martelé : « Je n'ai rien vu, j'ai fouillé là parce que la terre avait glissé et qu'on m'a commandé de tenir les berges en l'état. Je ne sais rien d'autre. »
    Il avait confirmé, en se penchant sur le cercueil, que c'était bien celle-là qu'il avait trouvée. Il avait reconnu le visage, malgré les bandes de toile qui l'emprisonnaient, et c'était comme si elle avait été, derrière le petit hublot, à nouveau engloutie. Le couvercle était vissé. Les carabiniers avaient l'air pressé. Qu'on referme vite, qu'on l'enterre! Ils étaient comme ceux qui avaient voulu la faire disparaître dans le lac.
    Dans la pénombre, le docteur Ferrucci, appuyé à la coque d'une barque, avait signé le permis d'inhumer. En le tendant au lieutenant de carabiniers, il avait longuement considéré l'homme, qui avait baissé la tête.
    Il craignait que Ferrucci, les carabiniers et le Français ne devinent qu'il se souviendrait toujours de cette nuit de pluie, de ce qu'il avait vu, marchant le long des berges, puis du matin, quand il était revenu avec la drague, qu'il faisait enfin beau temps et qu'il avait plongé la main d'acier là où il fallait pour retrouver la morte.
    Il n'avait rien décidé, mais il l'avait fait.
    Il avait quitté sa soupente, mis en route le moteur de la drague, puis avait avancé sur la terre boueuse.
    Il accomplissait toujours les choses comme si on les lui commandait, sans qu'il sût dans quel but cette voix qui ordonnait le faisait agir. Après, les choses étaient là devant lui, et il lui semblait qu'il ne les avait pas voulues, qu'elles avaient fondu sur lui d'un seul coup.
    Sa mère était couchée sur les mosaïques de la Villa Bardi avec ce collier rouge brun enserrant son cou, et il avait obéi à Morandi.
    Il avait lancé la pierre et le sang avait couvert le front et les yeux de Morandi. C'était le jour de la vengeance, et il avait traversé le lac.
    Il était ainsi devenu Angelo Trovato, celui auquel on ne parlait pas.
    Un jour, il avait reçu l'ordre d'embarquer sa drague sur le bac et de se rendre à Bellagio : le comte Carlo Bardi-Morandi avait besoin d'un engin puissant sur le chantier de ses fouilles ouvert au pied de la Villa Bardi.
    L'homme avait cru que sa vie arrivait à son terme. Il avait imaginé que c'en était fini de sa fuite commencée ce jour de mai 1945 où il s'était jeté au fond

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