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Le Condottière

Le Condottière

Titel: Le Condottière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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fiancé, lui, déjà si vigoureux, déjà si mâle, un vrai Bardi - et elle s'était réjouie de ne rien savoir du père, Mussolini, maudit ce porc, si c'était lui, puisqu'il avait provoqué la mort de cette pauvre Paola, mais Carlo, non, non, Carlo, lui, ne mourrait pas!
    Morandi avait la tête dure, il s'était remis en quelques jours et, quand elle le regardait, la comtesse Italina Bardi se signait.
    Il voyait, il courait, il sifflait. Avec ses pansements blancs qui lui ceignaient le front, on eût dit un cheik, et durant des mois elle l'avait appelé mon petit sultan. Elle avait même réussi à se persuader que Dieu avait voulu cette blessure pour les sauver, eux. Car plus personne ne s'était hasardé dans le parc de la villa, comme si, avec la mort de Paola et la blessure de Carlo, les Bardi avaient assez payé.
    Le nouveau maire de Bellagio, un partisan, peut-être un communiste - un rouge en tout cas -, avait lentement gravi les escaliers conduisant à la terrasse. Il tenait son chapeau à la main, bien poliment.
    Il avait appris, disait-il, pour le petit-fils. Querelle de gosses, n'est-ce pas? L'autre a dû se noyer en essayant de traverser le lac. C'est la guerre, les esprits sont tous dérangés. Mais la guerre est finie, non? Il faut la paix. Nous sommes des gens pacifiques, vous savez, comtesse. Chacun a eu sa part de souffrances. Vous avez eu la vôtre. La vie recommence. Nous sommes tous d'ici, de la même patrie. Nous avons tous ce lac dans les yeux, ces parfums de notre terre en nous.
    Il avait tendu la main et la comtesse l'avait prise, disant qu'il parlait noblement, ce qui ne l'étonnait pas, car les gens du lac ont le coeur fier, le sens de la justice et de l'honneur. Puisque son petit-fils vivait, elle n'avait qu'à s'agenouiller pour remercier Dieu. Et elle prierait aussi pour les habitants de Bellagio.
    - Pour vous aussi, monsieur le maire » avait-elle conclu en le raccompagnant jusqu'à l'escalier.
    Lorsqu'elle était rentrée dans le grand salon du premier étage, elle avait entendu des rires et des petits cris étouffés.
    Elle s'était avancée jusqu'à la porte donnant sur le boudoir et elle avait distingué, dans la pénombre, le pansement blanc de Carlo puis, au-dessous de lui, cette jeune bonne aux yeux bleus enfoncés dans une peau trop brune. Elle battait des jambes comme une noyée, mais Carlo la tenait bien, comme le brave mâle qu'il était. « Va, mon petit sultan, va, prends, prends », avait murmuré la comtesse en s'éloignant à reculons, gagnant la terrasse où, les yeux mi-clos, elle avait attendu la réapparition de Carlo dans le soleil voilé du crépuscule.
    Elle l'avait enfin vu s'avancer dans le salon, puis s'immobiliser, jambes écartées, poings sur les hanches, les extrémités de son pansement défait tombant, de part et d'autre de son visage, sur ses épaules.
    - Alors? avait-elle dit.
    Il avait ri, le menton levé, puis, d'un geste qu'elle avait trouvé vulgaire, mais qui l'avait émue et troublée, il avait essuyé ses lèvres avec le dos de sa main droite, comme un paysan qui vient d'avaler une rasade.
    Ce geste-là, dans les années qui avaient suivi, elle le lui avait vu faire tant de fois qu'elle n'y avait même plus prêté attention, et cependant elle le notait, elle savait ce qu'il signifiait, et elle pensait : encore une.
    Parfois, elle apercevait ces filles qui descendaient l'escalier de la terrasse en faisant claquer leurs talons hauts, et elle admirait leurs jambes nues, brunes et musclées, leurs cuisses sous une robe à fleurs. Elles tenaient toutes leur sac à main plaqué sur leur ventre comme un petit enfant qu'elles venaient de nourrir. Elles arboraient l'expression résolue et boudeuse de femmes qui ont fait leur travail avec conscience.
    Quand elles traversaient la place de Bellagio pour se rendre à l'arrêt du car qui les reconduirait à Côme, d'où, peut-être, elles repartiraient pour Bologne ou Milan, les hommes assis sur le muret qui surplombe le lac les regardaient passer sans un mot, sans même siffler, comme s'ils craignaient d'insulter, en les interpellant, Carlo Morandi à qui elles appartenaient.
    Il était loin, le temps où l'on prétendait que Morandi était le bâtard du Duce, que sa putain de mère avait couché avec le dictateur à même le parquet de cette grande salle du Palazzo de Rome où celui-ci recevait en audience et où, murmurait-on, il culbutait ses visiteuses pour une rapide étreinte. Après, il passait sur

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