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Le Condottière

Le Condottière

Titel: Le Condottière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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Brigitte Georges : je suis chargée de la gestion de ses émissions de portraits. J'ai besoin d'avoir la tête libre. Je ne peux plus rien pour toi. Et je ne veux pas me noyer avec toi. Je ne suis responsable de rien, tu le reconnais. Quand je me suis installée chez toi, Clémence vous avait déjà quittés depuis... mais à quoi bon revenir là-dessus ? Tu sais bien que j'ai raison. Je suis directe : je ne peux plus, je m'en vais, c'est tout.
    Pourquoi se lever du fauteuil, répondre?
    - C'est tout ce que tu as à dire? demandait-elle.
    Avait-il jamais réussi à parler à Joëlle?
    Elle avait fermé la porte sans la claquer, mais en la tirant avec suffisamment de force pour qu'il mesure qu'un nouveau chapitre de sa vie venait de se terminer.
    Il était seul.
    C'est ce qu'il avait dit à Joan.
    Et elle n'avait pas détourné la tête, elle ne s'était pas contentée de lui lancer d'une voix bougonne, irritée ou inquiète, qu'il devait se sortir de là, s'accrocher.
    Elle avait murmuré des phrases confuses, elle lui avait effleuré la main comme l'eût fait une fille, peut-être même une épouse si elle l'eût aimé.

    23.
    JEAN-LUC avait dit: « Je l'ai vue morte dans ce hangar », et Joan avait eu le sentiment de s'avancer avec lui vers le cercueil où reposait le corps d'Ariane.
    Ils avaient marché côte à côte depuis le début de ce samedi matin. Il bruinait. Ils s'étaient retrouvés au bas de chez Jean-Luc, rue de Sèvres. Il lui avait téléphoné tôt, parlant d'une voix hésitante et grave, si désespérée que Joan, d'un coup de pied, avait rejeté draps et couvertures, répondant d'une voix brutale qu'elle venait, qu'il l'attende. Elle l'avait vu adossé à la façade, les mains enfoncées dans les poches d'une longue veste de cuir à col de fourrure, une casquette dissimulant le haut de son visage, et il lui avait donné l'impression d'être là depuis des heures et de pouvoir y demeurer encore, indifférent au temps qui passait.
    - Excusez-moi, avait-il dit quand elle s'était immobilisée devant lui.
    Il avait levé la tête. Il n'était pas rasé. Le col de sa chemise était ouvert. Il donnait une image de faiblesse et d'abandon si misérable qu'elle lui avait tourné le dos pour ne pas montrer son émotion.
    Elle s'était mise à marcher en direction du boulevard Montparnasse et il l'avait rejointe au bout de quelques pas, puis il avait commencé à parler.
    Il y avait encore peu de monde dans les rues, les voitures étaient rares. Des camions de livraison stationnaient; leurs clignotants jaunes avaient rappelé à Joan ces lueurs nocturnes qui perçaient le gris-noir de la place de la Concorde. Parfois, Jean-Luc s'arrêtait et elle l'attendait. Il reprenait alors son récit, mais elle s'efforçait de ne pas tourner les yeux vers lui, de l'écouter sans le voir, comme une voix désincarnée racontant une histoire qui la bouleversait.
    - Peut-être, quand elle a quitté l'appartement, aurais-je dû lancer un avis de recherche, mais je craignais qu'elle ne se sente pourchassée, qu'elle s'éloigne définitivement. J'espérais encore, je pariais sur sa raison, sur l'attachement qu'elle m'avait à plusieurs reprises manifesté. Elle m'aimait. Quand elle était petite, dix ans, douze ans, elle m'avait répété tant de fois : « Je ne te quitterai jamais, papa, tu le sais. »
    Au son de sa voix, Joan devinait qu'il était au bord des larmes et elle s'écartait alors un peu de lui ou bien le devançait, marchant plus vite.
    Joan ne savait plus qui parlait, ce qu'elle faisait à côté de cet homme-là.
    Elle se persuadait que la vie d'Ariane, telle que Jean-Luc la racontait, aurait pu être la sienne. Elle aussi avait eu envie d'errer, de se perdre, d'aller de l'un à l'autre au gré du hasard, de rouler jusqu'au bout de la pente, de plus en plus vite, et qui pouvait condamner un tel choix, au nom de quoi?
    Elle n'était pas sûre d'avoir eu raison de museler ces velléités, ces désirs dont elle avait pris conscience il y avait si peu de temps qu'ils grondaient toujours en elle.
    Elle se disait que vivre comme Christophe Doumic, avec lui, parmi ces meubles protégés du temps par des housses blanches, c'était aussi mourir. Que se mentir à longueur de vie, comme Brigitte Georges ou Lavignat, c'était aussi s'ensevelir.
    Peut-être valait-il mieux monter dans le side-car de Morandi et mourir de trop vivre, comme Ariane l'avait fait.
    Ariane avait dû hurler, réussir à faire jaillir ce cri qui

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