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Le Condottière

Le Condottière

Titel: Le Condottière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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des stèles. A présent, elle s'apprêtait à téléphoner afin d'obtenir un taxi.
    Elle s'était redressée, écartant du pied la housse qu'elle avait arrachée au fauteuil et, levant la tête, elle avait découvert Christophe dans l'encadrement de la porte du salon. Son pyjama bleu pâle flottait autour de lui.
    Il avait répété d'un air hébété: «Mais pourquoi, Joan? Pourquoi vous êtes-vous rhabillée, Joan? »
    Pouvait-elle lui expliquer ce qu'elle ressentait, son envie de traverser ce lac qu'elle imaginait gris sombre, presque noir, troué de lueurs jaunes?

    22.
    CES mots que Jean-Luc avait dits à Joan - « Je ne vous vois plus, je vais mal, ne m'abandonnez pas » -, auxquels elle avait à peine répondu, ces mots dont il avait honte mais qu'il était pourtant soulagé d'avoir prononcés, qu'il avait même envie de répéter puisque c'était avec cette jeune femme qu'il avait besoin de parler (depuis ce premier appel chez elle, il avait essayé plusieurs fois de la joindre, mais il n'avait osé se confier au répondeur de crainte que quelqu'un ne surprît les mots qu'il avait envie d'ajouter aux précédents: « Je veux vous voir, venez, j'ai besoin de vous, ne me laissez pas tomber, sinon je coule... »), cette lamentation, cet appel, ces mots de désespoir ou d'attente étaient ceux qu'il aurait dû dire à Ariane mais qu'il n'avait su trouver à l'époque.
    Elle avait quinze ans et demi, seize ans peut-être. Tôt le matin, dans la cuisine, elle arrivait en tâtonnant, les yeux gonflés. Elle avait veillé, murmurait-elle, à cause de cette leçon qu'elle ne retenait pas, une épreuve de contrôle; il répondait sur le même ton : jus d'orange, café, que veux-tu, mange, bois - tout ce tas de mots jetés entre eux comme pour se cacher derrière leur amoncellement, ne rien dire, lui qui aurait tant voulu l'embrasser, la serrer contre lui, l'interroger et se confier, lui demander ce qu'elle pensait de Joëlle, si elle tolérait sa présence dans l'appartement, si elle souhaitait qu'ils vivent seulement tous les deux, père et fille, et il aurait aussitôt acquiescé.
    Chaque fois qu'il la croisait, il aurait dû lui dire : « J'ai besoin de toi, je ne te vois pas assez, je me moque de Joëlle, du journal, cela vient après toi, parle-moi, ne nous quittons pas, ne nous manquons pas, cessons ce jeu d'esquive! »
    Elle ne buvait pas le jus d'orange qu'il lui avait préparé. Elle disait d'un ton irrité ou las, selon les matins: « Mais je n'ai pas le temps, tu vois bien, je suis en retard... »
    Elle portait une grosse veste de laine à fermeture Éclair, au col large qu'elle relevait, dissimulant ainsi ses cheveux blond cendré, et parfois il sortait sur le balcon, la regardait s'engager dans la rue de Sèvres, et il éprouvait alors une fierté mêlée d'effroi à la voir si grande, si mince, et la vue de ses jambes fines serrées dans un pantalon de toile bleue délavée, marchant à longues foulées, vers le métro, sans que jamais elle tournât la tête pour vérifier s'il la suivait des yeux, lui inspirait un sentiment de fatalité et de désespoir.
    Il rentrait dans la chambre.
    Joëlle dormait encore. Il avait envie de se tuer.
    C'était une tentation qui passait, cisaillant sa pensée, irradiant sa vie qu'il se représentait à cet instant comme une suite d'échecs: ce mariage avec Clémence, cette façon dont elle avait refusé la naissance d'Ariane, son départ, les laissant là, fille et époux, c'était le moment tournant de sa vie, lui avait-elle dit, il devait comprendre. Qu'était-il donc, lui, pour qu'on le laisse ainsi tomber? Et maintenant, il en avait eu la certitude, à la lumière de ce désir de mort, c'était Ariane qui allait partir, l'abandonner, peut-être pour répéter, sans le savoir, ce qu'avait fait sa mère des années auparavant, ou bien pour le punir de n'avoir pas su la garder.
    Il s'asseyait sur le lit, sûr qu'il ne réussirait pas non plus à retenir Ariane, parce qu'il n'osait pas prononcer les mots qu'il portait en lui : « J'ai peur pour toi, pour moi, restons ensemble, parlons-nous, parlons-nous ! »
    Mais elle aurait répondu comme elle l'avait déjà fait les quelques fois où il avait tenté d'écarter ces barrages de phrases toutes faites, cet entrelacs de mots inutiles dont on avait plein la bouche, dont on comblait l'espace pour ne pas se toucher, mêler comme des lèvres qui se joignent ce qu'on avait au fond de la gorge : « Mais je te parle, papa, c'est

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