Le cri de l'oie blanche
pénible. Ce n’est pas toujours comme ça.
Blanche ne répondit rien, humiliée de son
inexpérience.
– Qu’est-ce que vous diriez si vous et
moi on se faisait un bon café ?
Blanche fit non de la tête.
– Aimeriez-vous mieux que nous allions à
la chapelle prier pour la morte ?
Blanche fit deux fois non.
– Voulez-vous aller vous reposer ?
Blanche allait acquiescer lorsqu’elle entendit
le crissement des roues de la civière poussée par les deux internes. Ils
passèrent près du poste, regardèrent Blanche et s’esclaffèrent si fort que
l’hospitalière leur demanda de se calmer un peu.
Blanche bondit sur ses pieds, regarda
l’hospitalière, insultée de voir qu’elle ne leur avait pas dit de se taire.
Elle partit en courant, refusant d’écouter l’hospitalière qui la rappelait.
Elle perçut les mots « choc », « triste réalité »,
« fatigue » et « prière » au moment où se fermaient les
portes de l’ascenseur qu’elle venait de prendre.
Blanche essaya de se ressaisir avant d’entrer
dans sa chambre. Elle le fit le plus discrètement possible. Marie-Louise,
recroquevillée, lisait sur son lit, la tête soutenue par trois oreillers. Elle
leva les yeux pour sourire à Blanche mais abandonna son livre en l’apercevant.
– Es-tu malade ?
En entendant le mot, Blanche sentit son
estomac se contracter. Elle s’enfouit la tête dans le lavabo. Au premier
spasme, elle vomit toute sa peur ; au second, son humiliation.
– Mon Dieu Seigneur ! Qu’est-ce que
tu as mangé ?
Marie-Louise sortit avec empressement de la
chambre, laissant Blanche presque à genoux devant l’évier, et courut chercher
une chaudière. Elle revint près de son amie, la soutint pour la relever et la
força à s’étendre sur son lit. Elle lui épongea la figure et le cou et
l’exhorta à ne pas bouger.
– Tu es tellement pâle que tu as l’air
d’une vraie morte…
– Tais-toi, Marie-Louise. Tais-toi.
Malgré les mots étouffés, Marie-Louise comprit
tout l’impératif du ton. Surprise, elle déglutit bruyamment avant de retourner
nettoyer l’évier.
Blanche ferma les yeux et les recouvrit du
linge. Devant eux, le spectacle de la mort valsait dans un interminable
tourbillon. Blanche sentit l’essoufflement de son cœur et le supplia de ne pas
s’arrêter. Elle venait de faire la connaissance de son rythme, de sa présence
habituellement discrète, subitement imposante. Elle sentait le tremblement de
ses jambes et de ses bras mais surtout celui de ses mains. Elle se demanda,
presque froidement, si elle tremblait de peur ou si elle tremblait des efforts
qu’elle avait déployés pour expulser un repas ingurgité plus de huit heures
plus tôt. La mort, masquée par les traits d’une grosse femme, par un ventre
replet, par des cuisses nauséabondes, continuait à la narguer en tournoyant
encore et encore dans sa tête. Elle sentit qu’elle allait perdre conscience
comme elle l’avait fait dans la chambre de Clément et s’abandonna à ce faux
sommeil. Elle crut s’entendre gémir avant d’atteindre la noirceur souhaitée.
– Blanche ? Blanche !
Marie-Louise s’énervait. Blanche sentit une
main lui fouetter le visage. Elle ouvrit les yeux et se demanda depuis quand
Marie-Louise avait une jumelle. Elle clignota des paupières et aperçut le plafonnier
de la chambre. Son cœur lui lança un rappel de son existence.
– Blanche ? Est-ce que ça va
mieux ?
Blanche fit un signe d’assentiment, tenta de
sourire pour rassurer son amie et effacer son air misérable.
– Je pense que j’ai fait la toile.
– Tu penses ? Ça fait cinq minutes
au moins que j’essaie de te ranimer. J’vas demander à Pauline de te surveiller
pendant que j’vas faire venir un médecin. C’est pas normal.
– Non ! Va me chercher un jus de
fruit. Froid. C’est tout ce que je veux.
Marie-Louise revint une minute plus tard.
– J’ai juste trouvé du jus de tomate.
Est-ce que ça va faire ?
– C’est parfait.
Blanche but à petites gorgées en regardant son
amie. Ni l’une ni l’autre ne parlait. Blanche déposa son verre sur sa table de
chevet et tenta de se lever. Elle en fut incapable.
– Aide-moi, s’il te plaît.
– Pas question. Tu restes couchée jusqu’à
demain matin. Pis toute la journée si tu en as besoin.
– Es-tu folle ? J’ai pas l’habitude
de passer une journée au lit !
– C’est le temps de commencer.
Les joues de Blanche
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