Le cri de l'oie blanche
couverture, les plia au pied du lit avant de se rendre compte que ce
qu’elle faisait était ridicule. Elle les arracha et les porta dans un coin de
la chambre. La morte étalait son énorme nudité, son vêtement d’hôpital,
impossible à attacher à l’arrière, drapé sur chacun des replis de son corps.
Son sexe était exposé et Blanche sentit, avant de le voir, le dernier besoin
qu’elle avait satisfait. Elle courut à l’évier en vomir l’odeur et l’apparence
et se promit qu’elle essaierait de mourir à jeun. Elle revint vers le lit, se
demandant ce que faisaient les internes, et entreprit d’enlever les excréments
et de laver la chair maintenant presque plus froide que l’eau tiède qu’elle
utilisait. Elle courut à l’évier trois fois et s’essuya la bouche et le front.
Elle se sentit les mains et vomit de nouveau. Elle essaya de soulever le siège
de la morte mais en fut incapable. Elle courut donc aux toilettes pour vider le
contenu de son plat, prenant soin d’actionner la chasse avant même de
commencer. Elle revint à la chambre et fut soulagée d’y voir les internes,
transpirant comme des bœufs en essayant de soulever le corps. Elle espéra que
son malaise n’était pas visible.
– Simplement par curiosité, garde,
regardez donc dans son dossier pour savoir combien elle pesait.
– J’ai pas besoin de regarder. Je le sais.
Trois cent dix-sept livres.
Un interne siffla, presque d’admiration
pensa-t-elle, trouvant que le temps était mal choisi pour faire de l’humour. Le
second interne monta sur la civière, fit un pas par-dessus la morte et lui prit
les bras. Le premier fit la même chose au niveau des cuisses.
– Est-ce qu’elle était mariée ?
– Oui.
Blanche répondit sans savoir si la question
lui était destinée. Le premier interne éclata de rire.
– Je gagerais ma chemise que son mari
mesure quatre pieds dix et pèse cent livres.
Le second interne esquissa un sourire et pria
son collègue de travailler au lieu de blaguer. Il tourna la tête en direction
de Blanche.
– Tenez-lui donc les pieds, garde.
Blanche qui, depuis le début de leurs
acrobaties, craignait qu’ils perdent l’équilibre ne fut que trop heureuse de
porter secours au premier interne qui, malgré qu’elle détestât son humour noir,
semblait vraiment avoir besoin d’elle pour ne pas s’écraser sur la morte. Elle
se plaça au pied du lit et lui prit fermement les chevilles. Il éclata d’un
rire tellement puissant que ses éclats rebondirent sur tous les murs de la chambre.
Le second interne leva la tête pour voir ce qu’il y avait de si drôle. Blanche
sentit ramollir les jambes qu’elle tenait et serra davantage. Le second interne
s’esclaffa à son tour, ce qui tripla l’ampleur du rire du premier. Blanche
était la seule à ne rien trouver d’amusant, transpirant sous l’effort qu’elle
faisait pour éviter le pire. Elle n’y parvint pas. Le premier interne perdit
l’équilibre et s’affala sur la morte, qui exhala un son épouvantable, venu des
ténèbres, ressemblant à un tonitruant rot perdu dans un souffle d’indignation.
D’horreur, Blanche écarquilla les yeux et ouvrit la bouche. L’interne se roula
et descendit du lit, riant toujours, et se dirigea vers Blanche.
– Les pieds, garde. Les pieds.
En parlant, il désigna les pieds de la morte.
Blanche sentit la honte lui envahir le front à la même cadence que les larmes
lui montaient aux yeux. Elle sortit précipitamment de la chambre et se heurta à
la sœur hospitalière.
– Voulez-vous me dire, mademoiselle
Pronovost, ce qui se passe ? On entend des rires jusqu’à l’étage du
dessus.
Blanche, pétrifiée, ne put proférer un seul
mot.
– Attendez-moi au poste d’observation.
Blanche s’y assit en tremblant. Elle entendit
les rires de la sœur hospitalière se mêler à ceux des internes. Elle posa sa
tête sur ses bras, croisés sur la table, et sanglota. L’hospitalière revint
près d’elle sans qu’elle en ait connaissance.
– Comment ça se fait que vous avez fait
ce travail ? Vous savez bien que ce n’est pas pour les étudiantes de
première.
– P… pas trouvé personne.
– Je ne vous fais pas de reproche. Le
travail que vous avez fait était bien fait.
Blanche sentit que l’hospitalière réentendait
l’explication des internes car sa voix se faisait plus légère, prête à rire.
– Je trouve dommage que vous ayez eu un
premier décès aussi
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