Le cri de l'oie blanche
prière matinale méditée dans la rosée.
– Merci, Paul, de m’avoir accompagnée au
cinéma. Si j’avais su que tu partais demain, peut-être que je t’aurais proposé
d’autre chose. En tout cas, j’aurais essayé de souper avec toi, au moins.
Embrasse moman pis les p’ tites pour moi.
Blanche avait envie de prendre la douleur de
son frère dans ses bras et de l’aspirer pour l’en libérer. Elle savait qu’il
avait mal partout et qu’il ressentait probablement quelque chose de semblable à
ce qu’elle avait ressenti quand on lui avait dit d’oublier la médecine. Elle
savait qu’il avait besoin de se faire consoler mais elle s’en sentait
incapable. Elle était beaucoup plus à l’aise avec les étrangers, auxquels elle
pouvait prodiguer encouragements et conseils. Paul avait voulu devenir un
médecin des âmes, alors qu’elle ne voulait soulager que les corps.
– Je vais aller rejoindre l’oncle Ovide.
Il doit m’attendre.
– C’est ça.
Il allait partir et elle n’avait pas réussi à
lui dire un seul mot de consolation ou d’encouragement. Par sa malhabileté,
elle éloignait son frère le plus cher à ses souvenirs. Paul recula d’un pas,
regarda le ciel et dit candidement que les jours allongeaient.
– Oui, pis si tu es comme moi, Paul, tu
vas les trouver longs en titi. Longs à n’en plus finir. J’en sais quelque
chose. Ça m’a pris presque un an avant d’être
capable de me remettre de ma colère quand on m’a dit que je pouvais pas faire
ma médecine.
Elle soupira, presque soulagée d’avoir avoué
ce qu’elle percevait encore comme un échec. Paul l’attira vers lui et lui
soutint la tête. Leurs deux chagrins, presque jumeaux, s’unirent enfin dans les
larmes que tous les deux refoulaient allègrement, dignes enfants de leur mère.
Paul se ressaisit le premier et parla d ’une
voix encore humide.
– On aurait besoin d’oignons.
– Comment ça ?
– Tu te rappelles pas ? Quand on est
revenus à Saint-Tite, moman passait son temps à éplucher des oignons pour nous
empêcher de la voir pleurer.
– J’ai jamais remarqué ça…
– Tu vois, ses oignons étaient efficaces.
– Pauvre moman.
– C’est plus que pauvre moman. C’est
pauvre peine de tout le monde qui a jamais la chance de se montrer. Comme la
tienne, Blanche.
Blanche ne répliqua plus, ayant l’impression
de ne pas avoir été à la hauteur d’elle-même. Pas plus aujourd’hui que quand sa
mère pleurait en épluchant des oignons.
– Pis ? Est-ce que Paul est aussi
beau sans sa soutane ?
– Oui, Marie-Louise. J’espère que je t’ai
pas trop fait attendre.
– Non. Mais j’ai faim.
– Va-t’en souper tout de suite. Je
reprends mon service.
Marie-Louise remit à Blanche toutes les
remarques qu’elle avait consignées. Blanche en prit connaissance rapidement et
efficacement. Elle remercia Marie-Louise.
– C’était vraiment gentil de ta part de
m’avoir remplacée.
Je pense que Paul avait vraiment besoin d’être
avec quelqu’un.
– Ça m’a fait plaisir, Blanche. Si c’est
pas pour s’aider une fois de temps en temps, à quoi est-ce que ça sert, des
amies ?
Blanche ne répliqua pas et, remarquant qu’un
voyant venait de s’allumer, elle quitta le poste d’observation pour se diriger
vers la chambre d’un malade. Elle se retourna.
– Marie-Louise ?
– Oui.
– Peux-tu attendre que je revienne avant
de t’endormir ? J’aurais quelque chose à te dire.
– O. K.
Blanche quitta la chambre, vida le bassin de
son contenu dans la toilette, le rinça à l’eau de Javel, l’essuya, se brossa
les mains et le reporta là où elle l’avait pris. Elle se dirigea ensuite
rapidement vers la cuisine de secours. Ce soir, elle était seule à préparer les
repas des patients. C’est pour éviter cette corvée à Marie-Louise qu’elle avait
refusé de souper avec son frère, refus qu’elle avait regretté en apprenant son
départ. Marie-Louise, elle en était certaine, aurait compris. Mais Blanche
détestait imposer quoi que ce soit, aussi s’était-elle empressée de rentrer à
l’heure promise. Elle lut le menu de chacun des patients et eut un instant de
découragement. Douze d’entre eux devaient avoir un repas diététique. Elle
alluma le poêle à gaz, qui était l’appareil le plus imposant de toute la
cuisine. Elle découvrit les chaudrons montés de la cuisine centrale, en sentit
le contenu avant de garnir les
Weitere Kostenlose Bücher