Le cri de l'oie blanche
avaient presque retrouvé
le rose qui les colorait habituellement.
– Je t’avais demandé de m’attendre parce
que je voulais que tu saches que Paul part de Montréal. Il s’en retourne chez
ma mère.
– Est-ce que c’est ça qui t’a rendue
malade ?
– Non.
Blanche se redressa et Marie-Louise lui glissa
des oreillers derrière le dos . Blanche savait
que Marie-Louise, pas plus tard qu’au déjeuner, peut-être même avant, connaîtrait
tous les détails de sa soirée. Les racontars, dans un hôpital, se propageaient
plus rapidement qu’une maladie contagieuse. Elle décida donc de tout dire
elle-même, s’en tenant aux faits et évitant d’exposer ses pensées et ses sentiments.
Marie-Louise ponctua son écoute de « ouach », de « pauvre
Blanche », et de « tsst ». Quand Blanche eut terminé,
Marie-Louise se tut, elle aussi, pendant quelques minutes.
– Pis, dans tout ça, c’est quoi qui t’a
rendue malade ?
Blanche détourna le regard vers la fenêtre
pour se soustraire à la perspicacité de son amie.
– Tout.
Marie-Louise quitta la chambre sur la pointe
des pieds. Blanche n’avait pas entendu le réveil et dormait profondément.
Marie-Louise décida de ne pas la réveiller. Avant d’entrer dans la salle à manger,
elle entendit des rires plus criards que d’habitude. Elle ferma les yeux,
remerciant le ciel d’avoir laissé Blanche bien au calme dans son sommeil. En
franchissant le seuil, Marie-Louise s’aperçut que les éclats s’estompaient.
Elle marcha jusqu’au comptoir et se servit, sachant que Germaine Larivière
venait de se lever de table et se dirigeait vers elle.
– Blanche est pas là ?
Marie-Louise sentit qu’une centaine de paires
d’yeux s’étaient agglutinés à leurs dos .
– Non. Blanche est malade. Elle a fait
une grosse indigestion.
Marie-Louise essayait de garder un ton de
confidence, même si Germaine, elle, avait pris le timbre d’un orateur.
– Peut-être qu’elle a trop mangé de
pattes grasses.
Marie-Louise savait que Germaine venait de
faire un jeu de mots subtil. Au repas de la veille, les gardes-malades avaient
mangé du ragoût de pattes de cochon et certaines s’étaient plaintes qu’il était
trop gras. Elle haussa les épaules et continua de garnir son assiette.
Germaine, voyant qu’elle avait l’écoute de toutes, la talonna.
– On raconte, comme ça, que Blanche, la
première de classe, aurait fait une erreur de débutante.
Marie-Louise entendit le silence que seuls le
bruit des ustensiles et le sirotement du café trop chaud venaient distraire.
Elle hésita une fraction de seconde entre se taire ou éclater. Elle choisit
d’éclater. Elle déposa son assiette sur le comptoir devant elle, éclaboussant
l’uniforme de Germaine, qui poussa un cri de surprise retenue. Marie-Louise se
tourna vers elle, cramoisie, et se retint de la gifler.
– C’est parce que, Germaine Larivière,
Blanche est une débutante. Toi, Germaine Larivière, est-ce que tu aurais
fait ce qu’elle a fait ? Est-ce que tu aurais préparé la morte ?
Est-ce que tu aurais été capable, sans demander d’aide, de la laver ?
Certaines diplômées posèrent leurs ustensiles.
Elles savaient ce que Blanche avait vécu. Devant la fureur de Marie-Louise,
Germaine ne cessait de se hausser sur la pointe des pieds pour ensuite retomber
sur les talons avant de recommencer son manège.
– Tu fais ta grande fifine mais je
gage que tu es jamais entrée dans la chambre d’un mort. Toi pis moi, pis toutes
les étudiantes de première, de deuxième pis une grande partie des étudiantes de
troisième, on n’est jamais entrées dans la chambre d’un mort. Blanche a fait
une erreur ? Certain. Tout le monde le sait ! Blanche a tenu les
pattes de l’interne au lieu de prendre les pieds de la morte. Pis ? Je
suppose que tout le monde ici aurait compris ? Je suppose que tout le
monde ici aurait regardé une morte de trois cents livres sans broncher ?
– Baisse le ton, Marie-Louise. Tout le
monde entend…
– Tout le monde entend ? Tant
mieux ! C’ est ce que tu voulais. Tu
voulais que tout le monde rie de Blanche. Ben
moi je ris pas. Pis je pense que personne ici aurait ri en entendant la morte
sortir son air quand l’interne est tombé dessus. Parce que ça, c’est pas écrit
dans les livres. Il paraît qu’il faut l’entendre. Pis Blanche l’a entendu. Avec
le temps, j’imagine qu’on s’habitue, mais Blanche, elle,
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