Le cri de l'oie blanche
mot de remerciement pour tout ce qu’elle avait fait pour elle.
Émilie sortit son mouchoir et s’y moucha bruyamment. Tout ce qu’elle avait fait
pour elle ! L’abandonner dans un couvent aux États-Unis ! C’ est ce qu’elle avait fait pour elle. Mais elle
savait que cela avait été la seule chose à faire. Elle savait aussi qu’elle en
avait toujours souffert plus que sa fille.
Émilie regarda l’heure. Elle eut une crampe
aux entrailles. Son corps de mère lui faisait mal. Elle avait mal de prendre
ses enfants dans ses bras et de leur dire qu’elle les aimait mais que leur
générosité la blessait. Combien de fois ne leur avait-elle pas répété de ne
jamais dépendre de personne ! Combien de fois… Et, tout en mettant cet
enseignement à profit, ils l’obligeaient, elle, à dépendre d’eux. Elle ne
voulait pas devenir un poids qu’ils se répart iraient
selon leurs moyens respectifs. À les voir aller, elle savait que ce seraient
toujours les mêmes qui l’assumeraient davantage. Elle craignait qu’ils n’en
viennent à se détester pour cette raison, mettant dans un des plateaux de la balance
l’argent qu’ils donnaient et dans l’autre leur respect filial et leur
reconnaissance. Rien n’équilibrerait la balance dans ce monde où l’argent devenait
de plus en plus le symbole de tout, y compris celui de l’amour.
Émilie se leva, frotta ses jupes, prit un
caillou pour le faire rebondir sur l’eau. Le caillou coula. Elle avait perdu la
main. Elle se tourna donc en direction du chalet et se mit au défi d’y courir
comme elle l’avait fait tant de fois. Elle s’essouffla au troisième pas. Déçue
d’elle-même, irritée par son vieillissement et son manque de courage, elle
retint ses larmes. Elle n’irait quand même pas jusqu’à pleurer sur son propre
souvenir.
Elle ferma la porte du chalet et prit le
chemin du retour, repentante du chagrin qu’elle avait causé. Honteuse d’avoir
réagi de façon si enfantine. Puis elle sourit. Elle avait réagi de façon
enfantine ! Elle pensa enfin que cela était peut-être le premier signe
qu’elle existait encore telle qu’elle avait été. Elle marcha d’un pas allègre,
ballottant le panier au bout de son bras, cent fois moins lourd qu’à son arrivée,
n’attendant que le moment où elle apercevrait le clocher qui lui indiquerait
qu’elle était presque rendue chez elle.
La noirceur n’avait pas encore fini de faire
disparaître le bleu du ciel quand elle monta les trois marches. Elle avait
aperçu l’automobile d’Émilien et savait qu’ils étaient probablement tous là à
l’attendre. Elle espéra simplement ne pas les avoir trop inquiétés. Prise d’un
accès de folie, elle frappa à la porte. Émilien et Blanche vinrent ouvrir.
Émilie tenait le panier à bout de bras devant elle.
– C’est la grand-mère du Petit Chaperon
rouge qui vient lui porter de la galette et du beurre. Elle a rencontré le
méchant loup de la colère et lui a mis des roches dans le ventre.
Blanche et Émilien se regardèrent, amusés,
répétèrent aux autres ce qu’ils venaient d’entendre en imitant la petite voix
qu’Émilie avait prise. Émilie entendit un tonitruant « Tire la
chevillette, la bobinette cherra ! ».
3 8
– C’est elle ! Hou ! hou !
Marie-Louise !
Paul et Émilien suivirent leur sœur. Blanche
et Marie-Louise tombèrent littéralement dans les bras l’une de l’autre. Émilien
jeta un regard admirateur à Paul, qui se contenta de sourire narquoisement. Il
s’approcha de lui.
– Blanche me dit que Marie-Louise te
trouve de son goût.
– Je pense, oui.
– C’est tout ce que tu as à dire ?
– Oui.
Émilien haussa les épaules et décida, à cet
instant même, de montrer à Marie-Louise que tous les frères Pronovost ne se
ressemblaient pas. Marie-Louise s’approcha de Paul, jetant un regard discret
vers Émilien. Timide mais décidée, elle déposa sa petite valise et embrassa
Paul sur les deux joues. Émilien pensa que jamais une étreinte aussi pudique
n’avait autant ressemblé à une offrande. Blanche lui présenta ensuite
Marie-Louise et il fit une courbette clownesque. Marie-Louise éclata de rire en
lui tendant une main dont les doigts pendaient élégamment en direction du sol.
– Dommage que vous arriviez aujourd’hui,
mademoiselle. Je dois partir dans trois jours.
– Dommage en effet. Blanche pis moi, on
part dans cinq jours.
– D’abord, on va
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