Le cri de l'oie blanche
fait. Émilie se tourna vers Paul.
– Pis toi ? Si j’ai bien compris,
c’était toi qui étais supposé m’amener dehors ? C’est réussi, Paul, mais
plus jamais, tu m’entends ? plus jamais, sérieusement ou pour rire, je
veux que tu me dises des bêtises comme tu viens de le faire.
Paul, habitué aux réprimandes, baissa la tête
et s’excusa tout en promettant de ne plus recommencer. Il regarda Blanche
tristement, se demandant si elle aussi se souvenait qu’il avait dit revenir
auprès de sa mère pour en prendre soin. Blanche se souvenait.
– Pis toi, Blanche, c’est pas parce que
tu commences à apprendre la vie que tu la connais bien. Des morts pis des
moments durs, j’en ai eu mon lot. J’ai vu mourir du monde que j’aimais. Quand
ça t’arrivera, on se reparlera, ma fille. On dirait que parce que vous êtes du
grand monde, poursuivit-elle en s’adressant maintenant à ses quatre enfants,
vous pensez connaître toute ma vie. Vous vous trompez. La seule personne qui
connaît ça, c’est moi.
Elle descendit les marches et tourna à gauche,
ne saluant personne sur son passage. Émilien, Paul, Blanche et Jeanne
rentrèrent tristement dans la cuisine. Émilien tenta de rire de la surprise
qu’il avait pensé faire.
– Toute une surprise ! J’ai jamais
vu moman aussi enragée.
Paul, toute sa sensibilité à vif, réprimait
difficilement ses larmes. Blanche le regardait, prête à le consoler si
nécessaire. Jeanne se leva et alla à la fenêtre voir si elle n’apercevrait pas
sa mère.
– Où est-ce qu’elle est allée, d’après
vous autres ?
Ce fut Blanche qui répondit.
– Dans le vieux chalet de bois que papa a
construit au lac à la Perchaude.
Ils acquiescèrent tous. Leur mère était
certainement là. Ils décidèrent de la laisser seule. Émilien entra ses valises.
Paul, toujours hébété, ne fit rien, pendant que Blanche pensait avoir une bonne
idée.
– Émilien ? Pourquoi est-ce que tu
vas pas avec Paul chercher Alice pis Rolande ? Je pense que moman s’ennuie
pis qu’elle serait contente de les voir. C’est pour ça qu’on devait aller faire
un pique-nique.
– Tu viens, Paul ?
Paul sortit de ses rêveries et se leva
lentement pour suivre son frère.
Émilie était assise sur le vieux lit du
chalet, épuisée de sa marche. Cent fois pendant le trajet, elle avait voulu
rebrousser chemin. Cent fois elle avait poursuivi, se demandant comment elle
parlerait à ces enfants dont elle ne cessait de réclamer la présence chaque
nuit avant de s’endormir et que, maintenant qu’ils étaient là, elle avait
fustigés pour des riens.
Elle pensait surtout à Paul. Depuis son
arrivée, elle avait d’abord résisté à l’envie de le serrer dans ses bras, de
lui mettre la tête près de son cœur à elle, pour qu’il l’entende battre certes
mais aussi pour tenter de lui redonner un peu de cette vie qui l’abandonnait
trop rapidement. Ensuite, à son contact quotidien, elle s’était surprise à lui
en vouloir de ternir la sérénité qui tranquillement avait commencé à se frayer un
chemin dans les sentiers de son âme. Après quelques mois, elle n’en pouvait
plus de son apitoiement, résistant à l’envie de lui lancer un ultimatum pour
qu’il réagisse. Elle était secrètement allée au collège voir s’il serait
possible qu’il y travaille et on lui avait dit qu’il pouvait facilement prendre
une classe dès septembre. Tout heureuse, elle lui avait fait part de cette
occasion. Paul avait fait la moue et répondu qu’il ne se sentait pas prêt à
prendre une telle responsabilité. Elle avait fulminé, pensant à toutes ces
années de vaches maigres qu’elle s’était imposées pour lui payer une partie de
ses études, se demandant avec angoisse si elle n’avait pas vainement sacrifié
ses autres enfants. Elle ne savait plus à qui demander conseil. Le curé Grenier
lui manquait toujours autant.
Elle se leva, ouvrit le panier à provisions et
se retint de pleurer. Blanche avait mis tellement de temps et d’énergie à
préparer des gâteries. Maintenant, Blanche devait s’empresser d’apprêter autre
chose pour nourrir ses frères et sa sœur. Depuis que Blanche, elle aussi, était
arrivée pour ses vacances, Émilie avait tenté de se passionner pour ce qu’elle
vivait dans les murs de cet hôpital dont elle ne cessait de parler, répétant
jusqu’à trois fois les mêmes histoires, les enjolivant d’une fois à l’autre
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