Le cri de l'oie blanche
quoi
faire ?
– Pour Paul. Il va tricoter des foulards
pis des choses en laine pour le magasin d’Émilien.
– C’est pas un travail d’homme, ça !
– C’est à peu près tout ce que Paul peut
faire, dans son état.
– Voyons donc, Blanche ! Paul peut
tout faire : enseigner, poursuivre ses études…
– Il a pas le courage de ça,
Marie-Louise. Il veut rester dans la maison.
– Pis se faire du sang de punaise…
– Pis se faire du sang de punaise. Tu es
une garde-malade, Marie-Louise. Tu sais comment les patients réagissent quand
ils savent qu’on peut rien faire pour les guérir.
– Mais on peut le soigner.
– Pas le guérir. C’est tout ce que Paul
retient.
Ce soir-là, elles firent leurs adieux à leurs
visiteurs et Marie-Louise regarda Paul comme si elle le voyait pour la première
fois. Elle revint à sa chambre avec Blanche, presque sereine.
– À c’t’heure, Blanche, entre toi pis
moi, ça va être le concours.
– Quel concours ?
– Je gage que d’ici la fin de l’année on
va chacune prendre notre tour à la première place. Moi, à partir d’aujourd’hui,
tout ce que j’ai dans la tête, c’est l’hôpital.
Blanche regarda son amie, se demanda si elle
avait envie de relever un défi presque désincarné, vit que pour son amie cela
était un baume qu’elle voulait appliquer sur son chagrin et accepta.
Le lendemain, en classe, on leur remit une
orange. Les étudiantes s’étonnèrent de cette collation-surprise.
– Je ne sais pas, mesdemoiselles, si vous
aimez les oranges. Mais dans une semaine, je parie rais
que quelques-unes d’entre vous ne pourront plus en manger.
Le professeur éclata de rire.
– Vous avez toutes une orange ?
Les élèves acquiescèrent.
– Maintenant, vous allez venir ici. Je
vais vous remettre une seringue.
Les élèves obéirent et retournèrent à leur
place.
– Bien. Maintenant, vous allez faire
comme si la seringue était pleine, en tirant le piston au maximum, et piquer
dans l’orange en poussant sur le piston.
Les étudiantes s’exécutèrent. Certaines
trouvèrent leur pelure coriace. D’autres n’eurent aucune difficulté à la
percer.
– La chair d’orange, c’est à peu près ce
qui ressemble le plus à la chair humaine.
Les étudiantes regardèrent leur appétissante
orange d’un œil différent.
– D’ici deux semaines, vous allez
consacrer vos temps libres à piquer votre orange. À tous les jours, vous allez
changer d’orange. Après deux semaines de pratique, vous devriez être à peu près
prêtes à remplir vos seringues correctement et à donner une injection. Nous
allons commencer par les intramusculaires. Sur les bras et le siège. Par
contre, d’ici Noël, vous devriez être capables de faire des prises de sang et
d’administrer des intraveineuses sans faire mal aux patients.
Blanche et Marie-Louise se regardèrent.
L’objectif de leur deuxième année d’études se précisait. Après les avoir
familiarisées avec tous les soins à apporter aux patients, à leur bien-être et
à leur confort, on leur apprendrait maintenant à poser des gestes médicaux plus
importants.
– Donner une injection peut vous sembler
bénin.
Les étudiantes firent toutes non de la tête,
sachant que leur professeur leur prouverait le contraire.
– Dans une intramusculaire, il ne faut
jamais, au grand jamais, trop s’approcher d’un nerf. Le risque de le toucher
est trop important. Dans une intraveineuse, il faut parfois s’acharner contre
des veines fuyantes. Je ne peux pas vous en décrire une. Vous les reconnaîtrez facilement. La difficulté réside aussi dans la veine
elle-même. Il arrive parfois qu’on la fasse éclater. Ou qu’on passe littéralement
à travers.
Certaines étudiantes grimacèrent. Le
professeur éclata de rire.
– J’ai brossé un tableau presque noir. Et
je me suis retenue pour ne pas vous dire que, dans une intraveineuse, il ne
doit pas y avoir d’air dans votre seringue. Les conséquences peuvent parfois
être fatales.
Blanche frissonna. Elle venait de prendre
conscience qu’une seringue était autre chose qu’un pistolet à eau qu’elle et
d’autres étudiantes s’étaient déjà amusées à remplir pour arroser d’innocentes
victimes.
Blanche et Marie-Louise redevinrent rapidement
deux étudiantes exemplaires. Quand l’une était en congé, l’autre redoublait
d’ardeur. Elles se relayaient auprès des patients, même quand elles
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