Le cri de l'oie blanche
fille la plus
extraordinaire qu’un garçon puisse rencontrer.
Elle inspira, soulagée.
– C’est pour ça que je veux te dire que
si tu as eu des idées, faut les oublier.
Marie-Louise cessa de respirer.
– Dans mon âme et conscience, je ne veux
pas renoncer à la prêtrise. C’est mon choix. J’ai donc décidé de poursuivre mon
célibat. Volontairement. Même si ce n’est pas facile. Peut-être qu’il y en a
qui vont penser que c’est malade, mais je n’en suis pas à une maladie près.
Il avait voulu la faire sourire, mais c’est
l’infirmière qui demeura imperturbable.
– Je voulais que ça soit clair. Tu as
toutes les qualités, même celle de me plaire. Mais c’est non, Marie-Louise. On
peut s’écrire, sur une base amicale. Rien de plus.
Marie-Louise se leva, tenta un malhabile
sourire.
– Tes sentiments sont clairs, Paul. Les
miens aussi. On va voir qui, de toi ou de moi, a la couenne la plus dure.
Paul hocha la tête.
– J’ai quinze ans d’avance, Marie-Louise.
– J’ai du souffle pis j’ai toujours été
bonne à la course. On va peut-être se rattraper.
Paul, exaspéré, haussa le ton.
– Marie-Louise, ça donne rien de te faire
souffrir. Un qui souffre, c’est assez.
– Parce que ça te fait souffrir ?
– Pas ça, Marie-Louise. C’est l’autre
souffrance qui me fait mal.
Émilie et ses deux fils restèrent deux jours à
Montréal pendant que Blanche et Marie-Louise reprenaient rapidement leur
train-train quotidien.
– Cette année, mesdemoiselles, le travail
sérieux commence.
Les étudiantes s’étaient regardées, se
demandant si l’année précédente avait été une année de loisirs. Déjà quelques
consœurs n’étaient pas revenues après les vacances, ayant abandonné ce cours
trop exigeant. Blanche et Marie-Louise avaient regardé les nouveaux livres mis
à leur disposition et soupiré.
– Des fois, je me demande c’est quoi la
différence entre le cours de médecine pis celui qu’on suit. J’ai l’impression
qu’on apprend autant de matière qu’eux autres.
– Tu te trompes, Blanche. Les médecins
changent pas les bassins, font pas les lits, donnent presque pas d’injections,
distribuent pas les médicaments pis réchauffent pas les repas. À part de ça,
c’est eux autres qui font les points de suture, même si on nous apprend
comment, c’est eux autres qui entrent dans les salles d’accouchement à la
dernière minute pour attraper le bébé pendant que nous autres on est restées
tout le temps avec la mère.
Blanche éclata de rire. Marie-Louise venait,
en peu de mots, d’exprimer tout ce qu’elle ressentait. À tel point, parfois,
qu’elle devait empêcher une certaine animosité de s’emparer d’elle.
– À vrai dire, Blanche, les médecins sont
les grands-parents des malades. Nous autres, on est les parents. On les lave,
on les nourrit, on les console, on les amuse pis on les fait sourire. Quand les
grands-parents arrivent, les « p’ tits »
sont tout contents. Ils se sentent gâtés. Nous autres, on raconte les bons pis
les mauvais coups. Quand les grands-parents en ont fini, ils nous les laissent
pour qu’on les fasse patienter jusqu’à la prochaine visite en les lavant, les
amusant, les faisant manger…
– Arrête ! C’est à se demander si tu
as encore envie d’être ici.
Marie-Louise s’était assise sur le bord de son
lit et s’était pris la tête à deux mains.
– Oui pis non. Oui, parce que j’ai envie
d’être la meilleure garde-malade du monde. Tu sais, celle que tous les patients
attendent. Non, parce que j’ai un patient bien précis en tête pis c’est lui que
je voudrais passer ma vie à soigner.
Blanche savait que Marie-Louise parlait de
Paul. Elle était désespérée par l’entêtement de son amie. Elle s’approcha
d’elle et lui mit une main sur l’épaule.
– Marie-Louise, oublie Paul. Il va être
comme mon oncle Ovide. Pareil. Il va vouloir vivre dans ses livres. Tout seul.
Marie-Louise s’acharnait à refuser cette
réalité.
– Pis je t’ai pas dit ce que Paul allait
faire comme travail.
– Quoi ?
Émilie, venue la veille au soir visiter sa
fille, lui avait expliqué qu’Émilien avait demandé à Paul d’aller l’aider en
Abitibi. Paul avait refusé. Alors, Émilien lui avait proposé de travailler pour
lui à distance.
– Aujourd’hui, ils s’en vont acheter une
machine à tricoter.
– Une machine à tricoter ? Pour
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