Le cri de l'oie blanche
une chaleur épouvantable et vous auriez eu de la difficulté à
conserver votre bonne humeur. Béni soit le ciel d’avoir brisé l’auto de l’oncle
Edmond !
– Le ciel ! Qu’est-ce que le ciel a
à voir avec l’auto d’Edmond ?
Par la porte grillagée, Blanche et Émilien ne
perdaient pas un mot de la conversation qui s’amorçait. Blanche trouvait que
Paul exagérait un peu.
– Le ciel a tout à voir avec tout, moman.
– Si c’est le cas, pis tu dois le savoir
mieux que moi parce que tu as porté la soutane, je pense que le ciel doit être
pas mal aveugle. En tout cas, j’ai pas grand-raison de le remercier.
– Moman ! Vous faites sacrilège sur
sacrilège. L’enfer vous guette !
– Arrête donc d’essayer de me faire peur.
J’ai eu dix enfants, j’en ai élevé neuf. Si c’est faire une vie de sacrilèges,
j’en veux pas de ton ciel !
Jeanne, exaspérée, déposa son crayon
bruyamment et ferma son livre.
– C’est fatigant à la longue. Vous passez
votre temps à vous chicaner.
– Mais non, Jeanne. Moman et moi nous
discutons de théologie.
Jeanne haussa les épaules en soupirant et
sortit de la maison. Elle aperçut Émilien, plié de rire, et poussa un cri de
surprise, se couvrant aussitôt la bouche de sa main, comme le lui indiquait
Blanche.
– Jeanne ?
– Oui, moman.
– Pourquoi est-ce que tu cries comme
ça ?
– Je… j’ai accroché mon pied dans la
porte.
– Franchement, c’était pas nécessaire de
pousser un cri de mort pour ça !
– Je m’excuse, moman.
Jeanne embrassa son frère, s’informant de sa
santé en lui chuchotant toutes ses questions à l’oreille. À l’intérieur, Paul
continua son harcèlement dans le seul but de faire sortir sa mère de la maison.
– Où en étions-nous, moman ?
– Nulle part !
– Mais oui, moman. Nous étions au ciel.
Alors, comme je vous disais, vous prononcez sacrilège sur sacrilège. Est-ce que
vous avez fait vos Pâques ?
– Ça te regarde pas !
– Mon Dieu ! J’ai peine à vous
reconnaître, moman. J’ai passé des années de collège à penser à ma mère. Les
souvenirs que je chérissais le plus étaient votre patience, votre bonne humeur
et votre humour. Plus jeune, je vous pensais omnipotente. Je savais que vous
pouviez tout faire, même mentir.
– Moi, mentir ?
– Mais oui, moman. Rappelez-vous, vous
aviez menti pour que j’entre en première année à Iciashawinigan. Vous
vous en souvenez sûrement.
– C’était pas mentir, ça, Paul
Pronovost ! Grâce à ça, à c’t’heure tu es bachelier ès arts, pas mal plus
vite que les autres.
Paul essaya de trouver un autre sujet qui
ferait sortir sa mère de ses gonds.
– Vous avez failli à vos devoirs
religieux, moman.
– Comme j’ai déjà dit au curé Grenier, ça
regarde le bon Dieu pis moi !
– Je ne parle p as
de vos dévotions. Quand vous vous êtes mariée, vous avez promis d’être avec
votre mari pour le meilleur et pour le pire, jusqu’à ce que la mort vous
sépare…
Dehors, les trois s’enfoncèrent la tête dans
les épaules. Ils savaient que l’orage éclaterait.
– Je peux pas croire ! Je peux pas
croire qu’un de mes enfants me reproche d’avoir refusé de l’exposer à… à… C’est
trop ! Si je m’écoutais, Paul Pronovost, malgré tout le respect que je te
dois, je te sortirais à grands coups de balai ! Je… Je…
Émilie ne termina pas sa phrase. Elle prit le
panier à provisions avec l’intention claire d’aller se réfugier seule quelque
part.
Elle tomba dans les bras d’un énorme rire.
Émilien lui fit « bou ! » et à son tour elle cria comme Jeanne
l’avait fait. Paul les rejoignit, riant lui aussi. Émilie regarda chacun de ses
enfants, l’un après l’autre, et, à leur grand étonnement, au lieu de décolérer,
elle s’empourpra davantage.
– C’est brillant ! Ben
brillant ! Je sais pas ce que vous avez manigancé mais si vous aviez
l’intention de me faire une surprise, vous avez manqué votre coup.
Elle tenait son panier à provisions serré sur
sa poitrine, comme si elle avait eu besoin d’étouffer ses palpitations. Elle
regarda chacun des enfants, Émilien le premier.
– As-tu l’impression que parce que tu
paies mon loyer tu peux venir ici n’importe quand pis me faire des peurs ?
Émilien, surpris, haussa les sourcils,
hésitant entre le remords et le rire. Il se tut, triste de l’accueil qui lui
était
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