Le cri de l'oie blanche
aider Blanche à sourire
devant leur visible scepticisme, lui chuchota à l’oreille qu’il leur avait
écrit qu’il mariait une cocotte, beaucoup plus jeune que lui, qu’il avait trouvée
dans le bois. Elle se tourna et grimaça.
– Tu as dit quoi ?
– Que tu étais une cocotte. Des fois, je
disais poulette.
– Franchement ! Clovis !
Qu’est-ce qu’ils vont penser ?
– Que je leur ai joué un tour, comme
d’habitude. C’est pas nouveau.
Ils reprirent le train pour filer jusqu’à
Vancouver, avant de pousser jusqu’à Victoria. Clovis expédia un télégramme à ses
amis pour les prier de cesser de les importuner. Depuis leur départ de
Saint-Stanislas, ils n’avaient pas franchi une seule ville, un seul village
sans que leur porteur, jour ou nuit, vienne frapper à la porte de leur cabine
pour leur remettre un télégramme de félicitations.
– On dirait que personne a envie d’aller
à un baptême l’automne prochain.
– C’est la saison préférée de ma mère.
– Pis la tienne, Blanche, ta saison
préférée, c’est laquelle ?
– Celle qui a commencé le 17 décembre.
Clovis et Blanche s’installèrent dans leur
logement d’Outremont. Blanche y passa de nombreuses heures à coudre rideaux,
tentures, couvre-lit. Clovis s’absenta souvent. Chaque fois qu’il partait, elle
lui demandait d’écrire. Chaque fois qu’il rentrait, elle s’assoyait à table et
l’écoutait raconter les progrès de Villebois, les accouchements de ses
patientes qu’elle avait confiées à sa remplaçante. Tous les deux mardis, elle
allumait la radio et l’écoutait parler de la colonisation et de l’Abitibi. Même
seule, elle l’entendait parler et rouler ses r avec application. Elle riait, heureuse de savoir
que son mari se cachait derrière cette voix et qu’elle était la femme la plus
choyée du monde.
– C’est moi !
– Déjà ? Je t’attendais juste dans
une heure.
– C’est parce qu’on vient de me dire
qu’il faut que j’aille en Gaspésie. Je dois faire ma valise. À c’t’heure, il
faut que je m’attende à aller pas mal partout dans la province. L’Abitibi, ça
achève pas mais c’est bien parti. On se promène avec des agronomes pour voir,
avec les gars du gouvernement, quelles cultures faire. Moi, je les accompagne
partout.
Blanche fit la moue. Clovis passa dans la
salle à manger et vit qu’elle y avait mis une nappe, deux couverts et des
bougies.
– Est-ce que j’ai oublié un
anniversaire ?
– Non. C’est dans un an , jour pour jour, qu’on va fêter.
– On va fêter quoi ?
– On va fêter, à trois, que c’est
aujourd’hui que je t’ai dit qu’on fêterait à trois.
Clovis se frappa le front du poing et ouvrit
les bras pour y accueillir Blanche, presque tristement.
– Pis il faut que je parte.
– C’est la rançon de la gloire, monsieur.
Blanche aida Clovis à faire sa valise,
choisissant les cravates et les chaussettes comme elle le faisait toujours. Ils
revinrent dans la salle à manger et elle souffla les bougies.
– C’est pour quand ?
– Décembre. Vers le 17, j’espère.
– As-tu un bon médecin ?
– Oui.
– Est-ce qu’il t’a examinée ?
– Pas encore. J’ai pas besoin d’un
médecin pour me dire que je suis enceinte pis pour me lire le calendrier.
– Non, évidemment.
Clovis regarda sa montre.
– L’as-tu dit à ta mère ?
– Non. Je voulais que tu le saches avant.
– On a cinq minutes. Veux-tu appeler à
Saint-Stanislas ? Après ça, moi, j’vas téléphoner au Manitoba.
Clovis, fidèle à son habitude, lui remit son
itinéraire et le nom de tous les hôtels où elle pourrait le joindre. Il la
quitta à regret, le cœur chaviré, la tête quelque part dans un magasin de
jouets.
Blanche se coucha et ne dormit pas. Depuis le
début de sa grossesse, elle avait des nausées qui semblaient ignorer qu’elles
n’avaient pas à attaquer à toute heure du jour. Elle vomit cinq minutes après
s’être couchée. Elle retourna s’étendre, prit un livre, le repoussa et lut le
journal qui ne parlait que d’Hitler, de Mussolini, d’escarmouches, de
frontières. Dépitée, elle éteignit sa lampe et essaya d’imaginer le souper
qu’ils auraient eu si Clovis n’avait pas dû partir à la hâte.
Elle fut éveillée en pleine nuit et repoussa
ses draps. Elle éclata en sanglots. Le liquide chaud, gluant, jaunâtre et
rosacé coulait d’elle comme une fonte
Weitere Kostenlose Bücher