Le cri de l'oie blanche
printanière. Une lame de feu lui
transperçait le ventre. Elle se traîna jusqu’au téléphone et appela l’urgence
de l’hôpital Notre-Dame. Elle s’identifia en vain. L’infirmière ne la connaissait
pas. Elle demanda Pierre Beaudry. On la fit patienter. Elle lui parla enfin et
il lui proposa de lui envoyer une ambulance.
– Non. J’vas prendre un taxi. Je voulais
juste être sûre que je connaîtrais quelqu’un.
Elle s’habilla du mieux qu’elle put après
avoir essuyé entre ses jambes la nourriture que son bébé, comme elle, venait de
vomir. Elle ouvrit le placard de sa chambre, sortit sa trousse médicale et prit
son stéthoscope. Elle s’étendit sur son lit et essaya d’entendre les battements
de cœur du fœtus. Elle essaya de retenir ses sanglots et sa respiration. Elle
crut s’évanouir en reconnaissant un son très faible lui entrer par les oreilles
pour lui percer le cœur. Elle rappela à l’hôpital et demanda l’ambulance.
Pierre l’attendait à l’entrée.
– Tout est prêt pour le curetage,
Blanche. Comment est-ce que tu te sens ?
– Pas de curetage, Pierre. Le bébé est
pas mort. J’ai entendu les battements de son cœur.
Pierre ne perdit pas une minute et roula sa
civière jusqu’au service d’obstétrique. Les médecins confirmèrent le diagnostic
de Blanche. Elle fut conduite dans une chambre privée. On l’installa, des
oreillers sous les reins, les jambes surélevées.
– Est-ce qu’on peut rejoindre votre mari
quelque part ?
– Non. Il est en voyage. De toute façon,
j’aime autant pas l’inquiéter. J’vas l’appeler quand j’vas savoir quoi dire.
Blanche passa le reste de la nuit à parler à
cette petite boule de chair, la suppliant de demeurer accrochée à son ventre.
Les médecins venaient la voir occasionnellement pour vérifier si elle n’avait
pas expulsé sa première maternité.
Les infirmières se relayèrent pour ne pas la
laisser seule. Blanche essaya de sourire à cette gentillesse. Au matin, les
médecins l’auscultèrent. Le premier toussota discrètement. Blanche comprit
qu’il n’avait rien entendu. Elle lui demanda son stéthoscope et écouta
elle-même. Le battement s’était éteint. Elle enleva le stéthoscope de ses
oreilles, le remit au médecin et, lentement, baissa ses jambes.
– Je suis prête pour le curetage,
docteur.
Elle refusa l’anesthésie. C’est à froid
qu’elle voulait se vider de sa joie. Tout le temps que dura l’intervention,
elle souffrit dans sa chair et dans son âme. Mais ses larmes ne coulaient plus.
Elle fut remontée à sa chambre et attendit son congé. Le docteur Trudeau, celui
qu’elle avait choisi, entra dans sa chambre et s’assit au pied du lit.
– J’aurais aimé que votre mari soit ici.
– Moi aussi.
– Parce que ce que j’ai à vous dire…
– Est-ce qu’il y a un problème ?
– Oui. À votre place, je penserais
sérieusement à l’adoption.
Blanche se demanda si le curetage lui avait
abîmé l’utérus. Encore une fois, les larmes lui envahirent les yeux. Elle ne
leur permit pas de couler. C’était assez que le reste de son corps le fasse.
– Vous avez des organes juvéniles.
Blanche le remercia et lui demanda de quitter
la chambre. Il le fit, s’excusant encore d’avoir apporté une si mauvaise
nouvelle. Blanche se tourna sur le ventre et gémit dans son oreiller.
Clovis fut d’abord foudroyé. Voyant la
tristesse de Blanche, il changea immédiatement d’attitude.
– Adopter un enfant ? Tu veux dire
qu’on aurait la chance de pouvoir choisir un enfant qui aurait pas mon gros
nez, qui aurait pas mes p’ tites dents trop
courtes, qui aurait pas tendance à rouler ses r…
– Qui aurait pas mes grandes oreilles pis
mes pieds presque plats.
– Mais qui pourrait avoir des yeux aussi
bleus que les tiens pis la peau aussi douce que la tienne. À bien y penser,
Blanche, quand est-ce que tu veux qu’on aille à la crèche ?
– Quand j’vas en avoir perdu trois. Pas
avant.
Clovis comprit, à son ton, qu’elle ne blaguait
plus.
L’été tirait à sa fin et Blanche était allée
passer quelques jours avec sa mère, dont la santé l’inquiétait. Maux de dos , maux de tête, nausées. Derrière les mots
qu’elle entendait, Blanche n’en comprenait qu’un : l’ennui. En rentrant
chez elle, tenant sa valise, le pas pressé d’être enfin arrivée, elle croisa
Germaine Larivière qui tenait un fils maigrelet par la main.
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