Le cri de l'oie blanche
page du calendrier qu’il tenait toujours dans une main, la plia et la mit
dans une de ses poches. Elle lui chatouilla ensuite le dessus de la tête avant
de lui enserrer le cou et de s’y pendre.
Clovis repartit le même jour en promettant de
revenir aussi souvent qu’il le pourrait. Blanche, vêtue de la robe bleue et du
manteau neuf, l’accompagna dehors, le tenant fermement par le bras, espérant
qu’il serait là la semaine suivante. Il ne revint qu’en avril, à son nouveau
dispensaire.
– Pis, le travail, Blanche, ça va ?
– Oui. J’aime toujours ça autant.
– Au point de changer d’idée pis de
rester ici ?
– Non. Tu as manqué deux noces, Clovis.
– Deux ?
– Oui.
– Jeanne pis qui ?
– Émilien. Il nous a pris par surprise.
– Tu m’as pas écrit ça…
– J’ai pas eu le temps. Émilien est
cachottier. C’est drôle, sa femme a le caractère de ma mère.
– Je pensais aller à Saint-Stanislas au
retour. Est-ce que tu as des objections ? Il me semble que c’est le temps
que je la rencontre, ta mère.
– Je suis sûre qu’elle va être contente.
Clovis rencontra Émilie et passa une soirée
complète à rire. Ils s’entendirent comme larrons en foire .
Blanche lut le détail de cette soirée dans les deux lettres qui lui parvinrent
le même jour, sa mère et Clovis s’étant tous les deux empressés de la rassurer.
En juin, Clovis, accompagné d’Émilien, alla à Duparquet faire sa deuxième
demande. Elle fut agréée et Ovila, lorsque Clovis partit, le remercia de cette
attention.
– Vous allez venir au mariage, monsieur
Pronovost ?
– Je penserais pas. J’aime pas tellement
me déplacer. Pis les mariages, moi…
Clovis le trouva pathétique.
À la mi-octobre, Blanche accueillit la garde
Côté, sa remplaçante. Elle lui fit faire le tour du canton, la présentant à
toutes les familles. Plus le temps de son départ approchait, plus Blanche
mettait d’énergie à bien soigner ses malades. Sa mère aurait dit que faire le
cadeau de la santé, c’était laisser quelque chose de moins périssable qu’un
souvenir.
À la mi-novembre, elle avait fermé toutes ses
valises sur le maigre butin qu’elle rapportait de ses presque trois ans
d’Abitibi.
La nuit avait été fraîche et Blanche l’avait
passée dehors, avec Castor, à marcher dans le bois, s’éclairant d’un fanal.
Elle avait parcouru des milles pour s’imprégner une dernière fois des odeurs de
bois et de sapinage. Castor, elle l’aurait juré, flairait son départ et ne la
quittait pas d’un poil, offrant sans arrêt sa lourde tête pour qu’elle la
flatte. À l’aube, elle abandonnerait toute sa vie d’aventures pour en entamer
une nouvelle. Elle pleurait doucement ce départ imminent, sachant qu’elle
laissait aussi la médecine, qu’elle avait pu pratiquer loin des hôpitaux et de
leurs équipements. La médecine qu’elle avait exercée avait été exigeante, lui
demandant sans cesse de faire des efforts d’imagination pour trouver des
solutions à des problèmes qui, en ville, auraient été simple routine.
Elle se rapprocha de son nouveau dispensaire.
Elle hocha la tête. Il n’avait jamais senti aussi bon que le premier, les
hommes ayant dû le construire en bois vert qui ne cessait de sécher et de
cracher toutes les bestioles réfugiées dans sa chair tendre. Elle s’assit sur
une roche pour donner libre cours à sa mémoire. Dans la colonne des mauvais
souvenirs, elle n’aurait que les départs de Paul et de M me Jolicœur ;
elle aurait aussi l’incendie. Dans la colonne des bons souvenirs, elle aurait
trois années qu’elle chérirait toute sa vie, elle le savait.
Blanche regarda le soleil se lever, passant du
rose au jaune très rapidement. Elle souffla son fanal. Castor la suivit en agitant
la queue.
Blanche fit le tour du dispensaire et alla au bât iment voir la stalle de sa Ti-Zoune. Elle referma
la porte derrière elle et passa au puits prendre de l’eau fraîche. Elle traîna
une chaudière pleine, respirant profondément l’air qui l’enivrait. Elle allait
entrer lorsqu’elle entendit des jappements venus du ciel. Elle leva la tête et
aperçut une volée d’oies blanches qui avaient abandonné le Nord. Elle éclata en
sanglots et leur demanda de l’attendre. Elle les rejoindrait près de la Batiscan,
là où, elle le savait, elles s’arrêtaient pour se reposer.
5 2
Blanche jeta un dernier coup d’œil à sa
Weitere Kostenlose Bücher