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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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à coup de l’opinion des gens.
    – Si tu penses que c’est mal de visiter
ta belle-sœur pendant que ton frère est parti, je serais pas étonnée que
d’autres le pensent. Mais si tu trouves ça normal de voir tes neveux pis tes
nièces à la place de leur père, le monde va penser ça aussi. Pour ce qui est de
moi, le monde peut bien penser tout seul. Si je t’avais pas dans les alentours,
je saurais pas mal moins d’affaires. Pis parlant d’affaires, je pense que c’est
aujourd’hui que j’vas te dire un secret.
    Flatté, Ovide tendit une oreille attentive
pendant qu’Émilie lui raconta ses fiançailles avec Douville et le voyage
qu’elle avait presque fait.
    – Tu veux dire que vous seriez allés à
Paris ?
    – Oui, monsieur. J’ai eu des soupirants
quand j’enseignais, pis pas n’importe qui.
    – Pis tu veux dire que tu as laissé tout
ça à cause de mon frère ?
    Émilie sourit tristement. Douville aurait
peut-être été le bon mari pour elle. Elle recevait encore régulièrement des
nouvelles d’Antoinette. Elle savait qu’Antoinette et Henri vivaient une vie de
pachas à Montréal, surtout depuis qu’il avait terminé un doctorat et enseignait
la littérature française à l’université McGill. Antoinette lui avait même dit
que leurs enfants parlaient tous l’anglais. C’était dû au fait qu’ils
habitaient un quartier anglophone de Montréal. Elle n’avait pas osé visiter
Antoinette lorsqu’elle était allée reconduire Rose et voir Berthe. Elle y avait
songé sérieusement mais, se rappelant les lettres d’Antoinette, la description
de sa maison, le fait qu’elle avait une domestique, elle n’avait pas osé le
faire. Pas avec sa robe élimée aux coudes et aux poignets.
    Ovide l’observait et regardait tristement le
nuage qui lui obstruait les yeux. Elle avait probablement souffert plus que
jamais il ne pourrait l’imaginer. Il maudissait son frère d’avoir laissé mourir
une si belle femme. Parce que l’Émilie qu’il avait connue était bel et bien morte. Ou à tout le moins à l’agonie.
    – Émilie, qu’est-ce que la brume fait
dans tes yeux ?
    Le mot « brume » fouetta Émilie.
Elle abandonna Antoinette et son monde de planchers en marqueterie.
    – Si tu veux me faire plaisir, Ovide,
prononce jamais le mot « brume » devant moi.
    Elle avait donné un coup de tête, relevé sa
mèche et continué son travail, les lèvres tellement serrées qu’elles en
bleuissaient.
    Ovide sut qu’il avait commis un impair mais il
en ignorait la cause. Il se leva discrètement, sourit à Émilie avant de sortir.
Elle ne remarqua ni son sourire ni son départ. Il soupira en fermant la porte
doucement, de crainte d’éveiller encore quelque douleur dans l’âme de sa
belle-sœur.
    La seconde institutrice arriva quatre jours
avant la rentrée. Émilie l’observa de sa fenêtre et crut se revoir. La jeune
fille avait dix-sept ans, les cheveux d’un blond roux et une taille de guêpe.
Ses vêtements étaient propres et bien faits. Émilie se demanda si c’était elle
qui les avait cousus. Elle s’empressa de sortir de l’école pour aller à sa
rencontre et se présenter. Elle tendit la main à la jeune demoiselle mais cette
dernière ne la lui serra pas. Elle se contenta de regarder Émilie, l’air
hautain, et de dire son nom.
    – Bonjour, madame Pronovost.
    Elle insista tellement sur le mot
« madame » qu’Émilie y sentit presque une marque de mépris, d’autant
plus que la jeune institutrice regardait les enfants sales de terre et de leurs
activités de la journée.
    – Bonjour, mademoiselle…
    – Adeline. Adeline Crête.
    – Seriez-vous parente avec…
    – C’est mon oncle.
    Adeline tourna les talons et se dirigea vers
la porte de « sa » classe pendant qu’Émilie essayait de sourire
intérieurement.
    Mais son sourire demeurait invisible, bien
caché derrière ses craintes. La nièce de Joachim. La nièce de Joachim Crête
sous le même toit qu’elle. Ce serait encore pire que tout ce qu’elle avait imaginé.
Elle rentra « chez elle » sans se retourner, invitant les enfants à
se laver.
    – Vous avez l’air de sortir direct d’une
soue à cochons. M lle  Crête va penser que je sais pas m’occuper
de mes enfants.
    Confus, ses enfants se précipitèrent vers la
pompe et firent couler une eau ferreuse sur leurs mains et leur visage noircis.
    Le lendemain de l’arrivée d’Adeline, Joachim
Crête fit son apparition.

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