Le cri de l'oie blanche
possible. Maintenant, les trois petites Pronovost
donneraient vraiment l’impression de vivre de charité. Même si cela n’était pas
vrai. Même si elles travaillaient fort pour gagner leur pension. Sa mère aurait
dû comprendre combien il était difficile d’être une fausse orpheline. Sa mère
aurait dû savoir que si elle, Blanche, était restée à la maison, à elles toutes
elles auraient pu réussir en classe et réussir aussi avec les corvées.
Blanche se retourna, la larme à l’œil. Une
pensée venait de jaillir dans son esprit embué de tristesse. Peut-être que sa
mère ne voulait pas qu’elles soient à la maison. Peut-être que sa mère aimait
mieux ne s’occuper que de Rolande et vivre avec Marie-Ange et Émilien. Ceux qui
lui apportaient de l’argent. Peut-être que sa mère lui mentait quand elle lui
disait qu’il était plus important d’emplir sa tête d’instruction que ses poches
d’argent. Peut-être que sa mère pensait davantage à l’argent maintenant qu’elle
avait plus de quarante ans. Pourquoi sa mère n’avait-elle pas réagi quand
Clément avait refusé de revenir à la maison, préférant rester au lac à la
Tortue ? Était-ce parce que, comme elle et ses sœurs, il était une bouche
à nourrir ?
Blanche grimaça. Si seulement elle avait pu,
durant l’été, poser toutes les questions auxquelles elle pensait. Pourquoi son
père ne donnait-il pas de nouvelles ? Qu’était-il vraiment arrivé le Noël
de sa disparition ? Pourquoi le pensionnat ? Pourquoi Paul n’était-il
pas rentré pour l’été ? Pourquoi Clément préférait-il être avec sa
marraine plutôt qu’avec sa mère et ses sœurs ? Ha ! si seulement elle
avait eu le courage de parler. Mais elle avait cessé d’essayer quand sa mère
lui avait dit qu’elle l’aidait trop. Sa mère n’avait pas compris.
L’année scolaire ressemblait aux deux qui
avaient précédé, sauf que la matière était plus difficile et qu’elle avait
moins de temps à consacrer aux Enfants de Marie. Malgré cela, elle en était
vice-présidente et se préparait à assumer la présidence dès qu’elle serait en
neuvième année. Elle avait tellement hâte d’être enfin avec les grandes. Elle
les voyait s’amuser, beaucoup plus que ne le faisaient les plus jeunes. Les
grandes lui donnaient l’impression de ne pas avoir de règlements, faisant
presque toujours comme elles l’entendaient. Elle en avait parlé à sa mère, qui
avait souri et répondu que plus une personne grandissait, moins elle avait peur
des fantômes et peur de la peur. Blanche n’avait pas compris ce que sa mère
avait voulu dire. Elle n’avait compris qu’une chose : sa mère n’avait pas
répondu à sa remarque. Qu’est-ce que la peur et les fantômes venaient faire
dans le couvent ?
Maintenant qu’Alice était pensionnaire, Jeanne
lui consacrait beaucoup de temps. Jeanne et Alice s’amusaient toujours
ensemble, ce que Blanche trouvait bien. Elle savait que Jeanne aimait
ostensiblement jouer à la grande sœur. Blanche, elle, n’avait pas à jouer. Elle
l’était.
La période des fêtes avait été presque
ennuyante. Paul n’était pas venu. Clément n’avait pu se déplacer à cause du
mauvais temps et Rose avait écrit une lettre pour dire que Sarah, sa meilleure
amie, faisait une fièvre typhoïde. Sa mère avait pleuré en lisant la lettre de
Rose et Blanche s’était demandé pourquoi. Elle avait pris la lettre des mains
de sa mère et à son tour avait lu les propos
de sa sœur. Elle avait remarqué que l’encre était brouillée à plusieurs
endroits. Certaines tache s étaient séchées,
d’autres humides. Blanche avait compris que sa mère avait pleuré probablement
parce que Rose, elle aussi, avait pleuré en écrivant sa lettre. Elle avait
voulu consoler sa mère, s’était approchée d’elle pour lui serrer l’épaule, mais
sa mère s’était levée rapidement et s’était dirigée vers le comptoir. Elle
avait dit que le poêle devait faire de la fumée parce que ses yeux coulaient.
Blanche s’était réfugiée dans un livre, se demandant si un jour elle
parviendrait à consoler sa mère d’une peine qu’elle ne comprenait pas.
Pâques était encore une fois arrivé mais
Blanche avait eu tellement de travaux à faire qu’elle n’avait pas eu le temps
de faire un cadeau pour sa mère. Pas même un dessin pour enjoliver la présentation
de son bulletin. Sa mère n’avait rien dit, parce qu’elle
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