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Le crime de l'hôtel Saint-Florentin

Titel: Le crime de l'hôtel Saint-Florentin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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la même disgrâce, ils en resurgissaient ensemble, plus unis que jamais. Quelle rancœur accumulée, quelle amertume remâchée nourrissaient ces poussées d'acrimonie que Bourdeau paraissait impuissant à contrôler ? Un rien ravivait une blessure inconnue. La mort tragique de son père, déchiré par une bête noire lors d'une chasse royale, n'expliquait pas tout. Le jeu cruel de l'estime et du mépris, qui fondait une société bâtie sur les privilèges de la naissance, ne laissait pas de l'insupporter. Il s'y glissait aussi une pointe de jalousie possessive vis-à-vis de ceux qui cédaient aux charmes de la séduction native du commissaire. Leurs égards révulsaient l'inspecteur, qui rêvait toujours d'une amitié exclusive. Noblecourt, La Borde et Semacgus échappaient heureusement à cette jalousie dévorante. Ils ne menaçaient en rien des habitudes acquises de longue main et leurs propres sentiments pour l'inspecteur constituaient pour lui un rempart et une certitude. Oui, la sagesse était de ne point répondre à cette pointe. Nicolas redoutait que ces résurgences régulières n'en viennent un jour à conduire son ami à des attitudes sans mesure dont il ne maîtriserait pas les conséquences. Peut-être se déciderait-il à lui en parler, pour vider l'abcès. L'heure n'avait pas encore sonné de cette explication.
    — Vous avez vu les souliers ? reprit Bourdeau. Pas la moindre goutte ou trace de sang. Rien. Propres et cirés.
    — Peut-être ont-ils été nettoyés, il faudra poser la question.
    Nicolas nota quelque chose dans son petit carnet noir, puis demanda l'heure à Bourdeau.
    — C'est bien ce que je pensais, il se fait tard. Il est pourtant essentiel que nous réunissions tous les témoignages aujourd'hui. Nous allons nous partager la tâche. Je vais interroger le suisse et vous irez bavarder un peu avec le concierge. Nous ferons le point ensuite.

    Ils retrouvèrent Provence qui les attendait dans l'ombre du corridor. Une nouvelle fois, l'idée effleura Nicolas que celui-là ne les quittait pas d'une semelle. Cela faisait-il partie de son obséquieuse diligence ou d'une volonté, peut-être dictée, de contrôler leurs faits et gestes ? Il les guida dans un nouveau dédale de corridors. Après avoir longé la lingerie, ils atteignirent des logements mitoyens. Provence désigna à Bourdeau l'entrée de celui du concierge puis, empruntant un nouvel escalier de dégagement, il conduisit le commissaire jusqu'à la loge du suisse, située au-dessous de sa chambre au rez-de-chaussée, à l'angle de la façade gauche, près du portail. L'homme, grand et voûté, avait ôté sa perruque et son crâne luisait à la lumière d'une chandelle. Il se recoiffa aussitôt. Il était vraiment monumental. Nicolas se rappela que les plus grandes maisons de la ville recherchaient de préférence ces géants pour occuper de telles fonctions. Celui-ci était si grand que le commissaire dut lever la tête pour le regarder.
    — Vous savez qui je suis, vous m'avez accueilli tout à l'heure. Comment vous nommez-vous et quel est votre âge ?
    — Pierre Miquete, à peu près quarante ans.
    Il n'attendit pas les questions.
    — Voilà ce que je puis vous dire. Y a eu un grand cri dans la cour. Faut dire que la fenêtre de ma chambre donne sur le portail. J'mangeais ma soupe du matin. Faut dire que j'y mets du pain sec de reste, que le garçon cuisinier me passe. C'est meilleur dans la soupe. Alors, oui, le cri… Puis me v'la accouru. Y'avait le Jacques, le même. Oui, faut vous dire qu'il s'appelle Jacques, comme le concierge. Tout le monde criait : « Au meurtre ! Au meurtre ! »
    — Tout le monde ?
    — Provence, l'Eugénie, le concierge et le Jacques.
    — Il faisait jour ?
    — Je ne me souviens point. L'émotion, vous savez. Il me semble…
    — Vous avez vu les corps ?
    — Il n'aurait plus manqué ! Une goutte de sang me fait défaillir.
    Nicolas risqua quelque chose qui réussissait parfois.
    — Vous en étiez amoureux ?
    La réponse fut rapide, mais différente de celle qu'il attendait.
    — De ce tendron ? Sûrement pas. Faut vous dire, monsieur le commissaire, que je possède un peu de bien depuis que je suis au service de monseigneur. J'ai besoin de nourritures plus consistantes qu'une poulette de rempart. Mais, l'autre, elle ne veut pas de moi. Et toutes elles lui ont chauffé le lit, celle-là comme les autres. J'en aurais pleuré, et quoique amouraché, elle ne veut rien

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