Le crime de l'hôtel Saint-Florentin
sa conduite, mais le comte d'Artois n'en garde aucun et tombe sans cesse dans une familiarité qu'il croit permise parce qu'elle a été tolérée jusqu'à présent. Quant au roi, en dépit de son existence sévère, chacun le juge doux et faible. Il ne mettra pas ordre aux effervescences de son frère. Il n'y a que la reine qui, en ayant le désir, pourrait le remettre à sa place. Il est à craindre bien des désagréments de cette situation.
— Et le quarto, Mercure de toutes les nouvelles ?
— Riez, c'est beaucoup plus grave. Un pamphlet ! On dispute sur son auteur. On soupçonne le sieur de Beaumarchais. Choiseul en est la cible principale avec la reine, dont l'entourage est dénoncé comme vendu à l'ancien ministre.
Il baissa tellement la voix que la chatte se mit à miauler d'inquiétude.
— Paix, Mouchette ! gronda Noblecourt. On va jusqu'à écrire que l'État est perdu si le roi ne prend pas toutes les précautions contre l'ambition et la coquetterie de sa femme. Avec, tenez-vous bien, comme thème principal que Louis XVI ne pourrait avoir d'enfants et que les princes, ses frères, se devraient prémunir contre quelque nouvelle et infâme intrigue à laquelle se prêterait la jeune souveraine.
— Voilà bien encore la manifestation de l'infection dominante du siècle et ses ramas d'ignominies qui se succèdent depuis tant d'années et contre lesquels nous dressons sans relâche des barrières toujours illusoires ! s'emporta Nicolas.
— Je crains que les égarements déplorables prêtés au feu roi n'aient ouvert le champ aux fripons en tout genre, observa Noblecourt. Désordres, scandales, injustices se sont succédé et tout fut bouleversé. Il n'y eut plus de mœurs, de principes, et tout alla au hasard. Seuls les méchants demeurent en scène face à un gouvernement sans ressort, et il s'élève parmi eux un esprit d'intrigue et de cabale d'une violence concentrée sans précédent dans ce royaume. Les devoirs les plus sacrés sont oubliés et rien n'est respecté ni à l'abri des horreurs les plus noires.
— Votre ami me paraît bien renseigné et bien amer aussi, dit Nicolas qui s'étranglait avec une gimblette.
Il y eut un silence, puis M. de Noblecourt déclara enfin :
— Je ne vous dissimulerai pas plus longtemps que le maréchal de Richelieu m'a fait l'honneur de sa visite. Il est resté près de deux heures.
Nicolas songea à part lui que le duc, « vieille cour » s'il en fut, était désormais bien à l'écart du mouvement des affaires, même s'il s'obstinait à paraître à Versailles en tant que premier gentilhomme de la chambre. Rebuffades et dédains n'y faisaient rien : il continuait à imposer sa présence au nouveau roi qui le regardait sans le voir et ne lui prêtait aucune attention. Dans ces conditions, il n'était pas surprenant qu'il se souvînt de ses vieux amis, et M. de Noblecourt toujours sensible aux attentions du grand seigneur, lui offrait l'occasion de nourrir encore l'illusion de son importance.
— Je comprends mieux, dit Nicolas. Le maréchal ronge son frein et espère sans relâche ce qui ne viendra plus. Savez-vous que son procès traîne au parlement et qu'il fait scandale ?
— Et pour cause, dit Noblecourt en baissant à nouveau la voix. Il est accusé par Mme de Saint-Ginest, la partie adverse, de faux et de subornation de témoins. On dit que la procédure est effrayante et la longueur des mémoires inimaginable !
La chandelle d'un bougeoir grésilla et s'éteignit, plongeant la pièce dans une semi-obscurité.
— Cela n'est que trop vrai. Fait-il encore belle figure, au moins ?
— La bile de tout cela lui passe dans l'esprit et lui, toujours si léger, s'en aigrit et se répète à satiété avec les quelques pointes méchantes que vous lui connaissez. Il lui échappe de ces propos !
Noblecourt leva un doigt sentencieux.
— Un mauvais mot nous en apprend quelquefois davantage que dix belles phrases. Il a rêvé toute sa vie d'entrer au conseil. Aut causa, aut nihil .
— Sans doute, dit Nicolas. Mais quelle infirmité de l'esprit peut lui faire accroire d'avoir encore un avenir à son âge ? Que ne préfère-t-il l'histoire qu'il a contribué à faire, le récit de ses victoires et la gloire qui s'y attache ?
— Hélas, deux qualités essentielles lui manquent ! La vertu et la perspective. Lui, si soucieux de l'impression qu'il donne, devrait renoncer à son humeur déplorante et à sa censure des
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