Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Le crime de l'hôtel Saint-Florentin

Titel: Le crime de l'hôtel Saint-Florentin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
Vom Netzwerk:
avait sonné pour qu'on prévînt le commissaire qu'il souhaitait l'entretenir. À son âge on dormait peu, soit que les douleurs le taraudassent et le tinssent éveillé ou qu'il prolongeât dans une rêverie somnolente les souvenirs heureux ou amers de sa longue vie. Il prenait un singulier plaisir à ces réunions du soir au cours desquelles Nicolas s'épanchait en toute confiance auprès de lui, attentif à ses remarques toujours avisées. L'existence du magistrat se cantonnait désormais à son hôtel, à l'exception de quelques visites de cérémonie, sa promenade quotidienne prescrite par Tronchin, son médecin de Genève, et les quelques grandes soirées où sa table, ouverte à ses proches, prodiguait ses splendeurs. Le jambon dévoré, Nicolas s'attaqua à un plat de gimblettes 19 à l'orange et à la pâte d'amande tout brillant de sucre glace. Deux regards concupiscents convergèrent vers cette merveille, celui de l'hôte dont la bouche à demi ouverte laissait paraître la gourmandise, et celui de Mouchette, la chatte assise sur ses genoux. De ses débuts difficiles dans l'existence, il était resté à la pauvre bête un insatiable appétit que rien ne rebutait et dont la variété des choix s'étendait à des mets généralement peu prisés par la gent féline. Cyrus, toujours pédagogue, surveillait sa jeune amie, prêt à lui enseigner, avec une ferme douceur, les bonnes manières. Le vieux chien lui était redevable d'un renouveau de jeunesse consécutif à ses nouvelles responsabilités d'aîné et de connaisseur des habitudes de la maison. M. de Noblecourt s'ébroua et réajusta son bonnet de nuit, comme s'il voulait rompre la fascination que les mets et le vin exerçaient sur lui. Il se servit délicatement d'un soupçon de tisane ambrée contenue dans une petite théière chinoise qu'une double enveloppe de porcelaine, emplie d'eau chaude, maintenait à la température idéale.
    — Hélas ! soupira-t-il en goûtant le breuvage, me voilà réduit au régime du grand roi ! Compote de pruneaux et tisane de sauge. Fagon lui-même n'y trouverait rien à redire 20 .
    — Vous dînez et soupez sans doute plus abondamment, remarqua Nicolas.
    — Certes, mais, adieu les plaisants excès de jadis ! Vous verrez un jour ce qu'il en coûte de se restreindre.
    — Allons, plaignez-vous ! Le monde passe sur vous en laissant peu de traces. Si vous ne cédez pas aux tentations, vous demeurerez jeune homme.
    — Allons, vil flatteur, contez-moi plutôt votre journée. Mais avant, que je vous dise la nouvelle du jour. Un mien ami, qui m'avait demandé à dîner…
    — Vous avez dîné en cérémonie ?
    — J'ai picoré, dit Noblecourt en riant, et lui aussi. Ce mien ami, disais-je, fort au courant des rumeurs de Versailles, sans compter de ce qui se dit chez les ministres des cours étrangères, pense – et cela vous intéressera – que la reine a peu goûté qu'on choisisse M. de Sartine comme ministre de la Marine. Elle le protège en considération de Choiseul, dont il fut l'ami. Elle eût souhaité qu'il prît la succession du duc de la Vrillière comme ministre de la Maison du roi. Elle a vu avec peine qu'on plaçait l'ancien lieutenant général de police dans un département aussi étranger à ses talents.
    — Le duc de la Vrillière ne paraît pas en disgrâce, observa Nicolas. On dit que le roi le boude en raison de son existence même, mais Maurepas est son beau-frère. Quant à Sartine, ses talents le recommandent à tous les emplois, si éloignés soient-ils de ses domaines de prédilection.
    — Certes ! approuva le procureur. Secundo, l'humeur de Mesdames et, en particulier de Madame Adélaïde, n'a cessé de s'aigrir en raison du peu de crédit et d'influence qu'elles obtiennent. La reine aurait adopté à leur égard un parti décidé dont elle ne s'écartera plus. De bons procédés, soit, mais on ne tolérera aucune prétention excessive et on réprimera les petites jactances que l'on hasarde de temps en temps.
    — Mesdames ont mal vieilli, remarqua Nicolas.
    Il se souvenait avec nostalgie d'une radieuse amazone, en tenue de chasse… Quatorze années s'étaient écoulées depuis sa première rencontre avec Madame Adélaïde au cours d'une équipée mouvementée.
    — Tertio, poursuivit M. de Noblecourt, tout laisse à penser que la reine devrait en user de même avec ses beaux-frères. Monsieur, réservé et prudent et même dissimulé, met assez de ménagement dans

Weitere Kostenlose Bücher