Le Crime De Paragon Walk
silhouette noire se découpait à contre-jour dans la lumière
du soleil. C’était Paul Alaric.
— Eh bien ! fit-il à mi-voix, avançant dans leur
direction avec un sourire.
Charlotte et Emily s’étaient rapprochées jusqu’à ce que
leurs corps se touchent. Les doigts d’Emily s’enfonçaient comme des serres dans
le bras de Charlotte.
— Vous l’avez donc trouvé, observa Alaric. Quelle imprudence,
de vous être aventurées ici… seules !
Il avait l’air de s’en amuser.
Au fond d’elle-même, Charlotte avait toujours su que c’était
de l’inconscience, mais la curiosité l’avait emporté sur le sens du danger, faisant
taire les avertissements de la raison. En regardant Alaric, elle chercha à
tâtons la main d’Emily. Était-ce lui, le chef, le grand sorcier ? Cela
expliquait pourquoi Selena avait jugé crédible qu’il eût pu l’attaquer… ou
pourquoi Jessamyn savait que ce n’était pas lui. Peut-être que le maître des
cérémonies était une femme… Jessamyn elle-même ? Les hypothèses les plus
effarantes se bousculaient dans sa tête.
Alaric venait vers elles, toujours souriant, mais avec un
léger pli entre les sourcils.
— On ferait mieux de partir, dit-il avec douceur. C’est
un lieu infiniment déplaisant et, pour ma part, je ne tiens pas à être surpris
ici par l’un de ses habitués.
— S-ses habitués ? bégaya-t-elle.
Il eut un rire rauque.
— Bonté divine, vous me prenez pour l’un d’entre eux !
Vous me décevez, Charlotte.
L’espace d’un instant insensé, elle se sentit rougir.
— Si ce n’est pas vous, qui est-ce ? demanda-t-elle
avec défi. Afton Nash ?
La prenant par le bras, il la conduisit à l’air libre, Emily
sur leurs talons. Il tira la porte et s’engagea sur le sentier parmi les
plantes aromatiques.
— Non, Afton est trop frigide pour ce genre de choses. Son
hypocrisie à lui est bien plus subtile que ça.
— Qui alors ?
Persuadée que ce ne pouvait pas être George, elle ne
craignait pas la réponse.
— Oh, Freddie Dilbridge, fit-il avec assurance. La
pauvre Grace ferme laborieusement les yeux, prétendant que ce sont là de
simples excès charnels.
— Et qui d’autre ?
Charlotte marchait à côté de lui, laissant Emily derrière
sur le sentier.
— Selena, certainement. Et Algernon, dirais-je. La
pauvre petite Fanny, avant qu’elle ne meure… du moins, je le pense. Phœbe est
au courant, bien sûr – elle n’est pas aussi naïve qu’elle en a l’air –, et Hallam
l’était aussi. Fulbert savait également, d’après ce qu’il disait, même si on ne
l’avait jamais invité à participer.
Tout concordait.
— Et que font-ils ? interrogea-t-elle.
Il esquissa une moue, triste et un peu méprisante.
— Pas grand-chose, ils jouent à se faire peur et s’imaginent
qu’ils conjurent des démons.
— À votre avis, ce n’est pas… réel ?
Elle hésitait à poser cette question dans le jardin
ensoleillé, sous la haie dont le feuillage bruissait au-dessus de leurs têtes. La
chaleur devenait de plus en plus oppressante ; le ciel s’était légèrement
voilé. Les moucherons étaient partout.
— Non, ma chère, répondit-il, la regardant droit dans
les yeux. Non, je ne le pense pas.
— Phœbe, si.
— Oui, je sais. Elle se figure qu’un jeu puéril et
quelque peu pervers a soudain fait surgir de véritables esprits qui se déchaînent
sur Paragon Walk, semant la folie et la mort venues du royaume des ténèbres.
Son expression placide, désabusée, semblait reléguer ces
phénomènes-là au chapitre de l’hystérie.
Elle fronça les sourcils.
— La magie noire, ça n’existe donc pas ?
— Ah, mais si.
Il poussa la porte dans la haie et s’effaça pour les laisser
passer.
— Bien sûr que ça existe. Mais pas ici.
Ils réémergèrent dans l’atmosphère paisible et colorée de la
garden-party. Personne ne les avait vus se détacher de la haie et longer le
chemin herbacé. Miss Laetitia écoutait dûment Lady Tamworth pérorer sur les
effets pernicieux d’une mésalliance, pendant que Selena échangeait des propos
enflammés avec Grace Dilbridge. Tout était calme : on eût dit qu’elles s’étaient
absentées pour quelques instants seulement. Charlotte dut se secouer pour se
rappeler ce qu’elle venait de voir. Freddie Dilbridge, debout nonchalamment
avec un verre à la main, tout près des rosiers… vêtu d’une robe noire, une
cagoule sur
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