Le Crime De Paragon Walk
dans la hiérarchie sociale la mettait au supplice? Il ne la comprenait pas suffisamment pour en juger.
— Je vous remercie, madame, dit-il doucement. C’est probablement sans importance.
Et, avec force murmures de politesse, il fut reconduit par le valet dehors, dans la rue ensoleillée.
Pendant plusieurs minutes, il demeura immobile avant de décider de sa prochaine destination. Forbes était quelque part dans les parages à discuter avec les domestiques, gonflé d’importance à l’idée de participer à une enquête criminelle, et ravi de pouvoir enfin satisfaire une curiosité longtemps réprimée vis-à-vis d’un mode de vie qui jusque-là dépassait totalement le cadre de son expérience. Ce soir-là, il serait une mine de renseignements, pour la plupart inutiles, mais dans tout ce fatras d’habitudes quotidiennes, il y aurait peut-être une observation qui déboucherait sur une autre... et ainsi de suite. A cette pensée, il eut un grand sourire. Un aide-jardinier qui passait par là le dévisagea, stupéfait et quelque peu impressionné par cet homme qui, manifestement, n’était pas un gentleman et cependant se permettait de rester planté au milieu de la rue à sourire aux anges.
Finalement, il opta pour la résidence centrale appartenant à un certain Paul Alaric, où on lui dit très poliment que Monsieur 3 ne serait pas chez lui avant la tombée de la nuit, mais que si l’inspecteur voulait bien revenir à ce moment-là, Monsieur le recevrait certainement.
N’ayant pas encore réfléchi à ce qu’il allait dire à George, il remit cette entrevue-là à plus tard et essaya la maison suivante, celle d’un dénommé Hal-lam Cayley.
Mr. Cayley n’avait pas encore fini son petit déjeuner; néanmoins, il l’invita à entrer et lui offrit une tasse de café très corsé, que Pitt refusa. Il préférait le thé de toute façon, et ce breuvage paraissait aussi visqueux que les eaux huileuses du port de Londres.
Cayley sourit de mauvaise grâce et se versa une autre tasse. C’était un homme séduisant d’une trentaine d’années; malheureusement, son beau visage aux traits aquilins était gâché par une peau grêlée, et une bouche molle qui laissait deviner un tempérament colérique. Ce matin-là, il avait les yeux bouffis et légèrement injectés de sang. Pitt comprit que la veille il avait dû forcer sur la bouteille.
— Que puis-je pour vous, inspecteur ? commença Cayley, parlant le premier. Je ne sais rien du tout. J’ai passé la plus grande partie de la soirée chez les Dilbridge. N’importe qui vous le dira.
Le cœur de Pitt se serra. Tout le monde disposait-il donc d’un alibi? Non, c’était absurde. D’ailleurs, c’était sans importance; il s’agissait sûrement d’un domestique qui avait bu un coup de trop, s’était oublié et, quand la jeune fille s’était mise à crier, l’avait poignardée, affolé, pour la faire taire, peut-être même sans intention de tuer. Forbes trouverait probablement la réponse. Quant à lui, il interrogeait les maîtres simplement parce qu’il fallait le faire, ne fût-ce que pour la forme, pour qu’on sache que la police ne chômait pas... et plutôt lui que Forbes, avec ses maladresses verbales et sa curiosité par trop flagrante.
Il se força à revenir à ses questions.
— Vous rappelez-vous par hasard avec qui vous étiez aux environs de dix heures ?
— A vrai dire, je me suis disputé avec Barham Stephens.
Cayley se resservit du café et secoua la cafetière avec irritation lorsque sa tasse ne se remplit qu’à moitié. Il la reposa avec fracas, faisant trembler le couvercle.
— Le bougre prétendait qu’il ne perdait jamais aux cartes. J’ai horreur des mauvais perdants. Et je ne suis pas le seul.
Il fixa sombrement son assiette jonchée de miettes.
— Et cette dispute a eu lieu à dix heures? demanda Pitt.
Cayley contemplait toujours son assiette.
— Non, un peu plus tôt, et ç’a été plus qu’une dispute. Ç’a été une sacrée bagarre, dit-il, levant vivement la tête. Enfin, vous n’appelleriez pas ça une bagarre, vous. Il n’y a pas eu d’éclats de voix. Stephens ne se conduit peut-être pas en gentleman, mais nous sommes tous deux suffisamment bien élevés pour ne pas nous quereller devant les dames. Je suis sorti faire un tour, histoire de me calmer.
— Dans le jardin?
Cayley regarda à nouveau son assiette.
— Oui. Vous voulez savoir
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