Le Crime De Paragon Walk
elles sont là seulement
pour la saison.
L’air soudain grave, il dévisagea Pitt sans ciller.
— Honnêtement, je ne vois pas du tout qui aurait pu
assassiner la pauvre Fanny.
Son visage se plissa douloureusement, animé d’un sentiment
singulier, plus subtil qu’une simple pitié.
— Je connais la plupart des hommes qui habitent dans
Paragon Walk. J’avoue que je ne les porte pas tous dans mon cœur, mais, franchement,
je ne les crois pas non plus capables de tuer une femme, une enfant comme Fanny,
d’un coup de couteau.
Il repoussa son assiette d’un air dégoûté.
— Ce pourrait être le Français… un drôle d’oiseau, celui-là,
et le couteau, c’est bien un truc français. Mais ça me paraît peu probable.
— Comme la plupart des meurtres, dit Pitt doucement.
Puis il songea aux taudis crasseux, grouillants, qui s’agglutinaient
juste derrière ces rues imposantes, où le crime était un moyen de survie, où
les petits enfants apprenaient à voler sitôt qu’ils savaient marcher et où seuls
les rusés ou les forts parvenaient à l’âge adulte. Mais à Paragon Walk, tout
cela était déplacé. Ici, un crime était un événement choquant, insolite, et, bien
entendu, ils cherchaient tous à le désavouer.
Cayley ne bougeait pas, rongé par quelque tourment intérieur.
Pitt attendit. Dehors, les roues d’une calèche crissèrent
sur le gravier.
Finalement, Cayley leva les yeux.
— Qui, au nom du ciel, aurait fait ça à un petit être
inoffensif comme Fanny ? dit-il tout bas. Ça semble si fichtrement gratuit !
Pitt, qui n’avait pas de réponse à lui apporter, se leva.
— Je n’en sais rien, Mr. Cayley. Il se peut qu’elle ait
reconnu le violeur et qu’il s’en soit rendu compte. Mais pourquoi il s’est
attaqué à elle, ça, Dieu seul le sait !
D’un geste brutal, Cayley abattit son poing sur la table, pas
bruyamment, mais avec une force stupéfiante.
— Ou le diable !
Il baissa la tête et ne releva pas les yeux, même quand Pitt
sortit et referma la porte derrière lui.
Dehors, il faisait un temps clair et ensoleillé ; les
oiseaux gazouillaient dans le parc d’en face, et quelque part au détour du
virage, on entendit cliqueter les sabots d’un cheval.
C’était la première fois qu’il voyait quelqu’un manifester ouvertement
son chagrin, et même si c’était pénible, lui rappelant que l’énigme était
banale et la tragédie, réelle – ils auraient beau savoir qui avait tué Fanny, comment
et pourquoi, elle n’en serait pas moins morte –, il se sentit néanmoins purifié.
Il alla voir Diggory Nash. Après, en milieu d’après-midi, il
ne put plus repousser sa visite chez Emily et George. Il n’avait rien appris
qui pût lui éviter de poser la question fatidique. Diggory Nash ne lui avait
rien apporté de positif non plus. Il était allé jouer, dit-il, dans une soirée
privée, mais il se montra peu enclin à révéler les noms des autres joueurs. À ce
stade-là, Pitt n’était pas prêt à insister.
Maintenant, il fallait qu’il aille voir George. Ne pas le
faire serait tout aussi ostentatoire et donc aussi outrageant que n’importe
quel interrogatoire.
Vespasia Cumming-Gould prenait le thé avec Emily et George
quand Pitt fut annoncé. Emily inspira profondément et pria la femme de chambre
de le faire entrer. Vespasia enveloppa sa nièce d’un regard critique. Franchement,
la petite portait son corset beaucoup trop serré pour quelqu’un en période de
grossesse. La vanité était une chose, mais elle se conjuguait mal avec la
maternité : chaque femme devrait savoir ça ! À l’occasion, elle lui
parlerait de ce que visiblement sa mère avait omis de lui expliquer. Ou bien la
pauvre enfant était-elle tellement attachée à George, et tellement peu sûre de
son affection qu’elle cherchait toujours à lui plaire ? Si elle avait été
un peu mieux éduquée, elle aurait appris à composer avec les faiblesses des
hommes. Et elle aurait réagi avec indifférence, ce qui eût été infiniment plus
satisfaisant.
Voilà que maintenant cet inénarrable inspecteur de police arrivait
au salon, tout en bras, jambes et basques, le cheveu en bataille… on aurait dit
une tête-de-loup.
— Madame, dit Pitt courtoisement.
— Bonjour, inspecteur.
Elle tendit la main sans se lever. Se penchant, il l’effleura
de ses lèvres. Geste ridicule de la part d’un policier qui, somme toute, ne
valait guère mieux qu’un
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