Le Dernier Caton
mots sur un ordinateur afin que la machine recherche un texte semblable dans la base de données. Mais comparer deux images d’un objet qui peuvent être archivées dans des tailles différentes, des formats incompatibles, prises sous des angles différents, et peut-être même avec un appareil de si mauvaise qualité que le programme ne peut pas les reconnaître même si elles sont semblables…
Glauser-Röist me considéra avec commisération, comme si nous montions un escalier et qu’il se trouvait toujours à quelques marches au-dessus de moi, et en se tournant pour me regarder il dut baisser la tête.
— Les recherches d’images ne se font pas de cette manière, m’expliqua-t-il d’un ton patient. Vous n’avez jamais vu au cinéma comment la police compare le portrait-robot d’un assassin avec les photos digitales de délinquants qu’elle possède dans les archives stockées dans ses ordinateurs ? On utilise des paramètres comme la distance entre les yeux, la largeur de la bouche, les coordonnées du front, du nez et des mâchoires, etc. Ces calculs numériques sont ensuite très utiles pour localiser les fugitifs.
— Je doute beaucoup, dis-je, fâchée, que notre service informatique dispose d’un tel programme de recherche des fugitifs. Nous ne sommes pas la police, capitaine, nous sommes le centre du monde catholique, et nous nous occupons d’histoire et d’art.
Glauser-Röist se tourna et posa sa main sur la poignée de la porte.
— Où allez-vous ? demandai-je en voyant qu’il se moquait de ce que je disais.
— Je vais aller voir le père Ramondino afin qu’il donne les ordres nécessaires au service informatique.
Le vendredi, après le déjeuner, sœur Chiara vint me chercher avec sa voiture et nous quittâmes Rome par l’autoroute du Sud. Elle allait passer le week-end à Naples dans sa famille, et était enchantée de pouvoir voyager accompagnée. La distance entre les deux villes n’est pas si grande, mais elle le paraît encore moins quand on a quelqu’un avec qui bavarder. Chiara et moi n’étions pas les seules à quitter Rome ce jour-là. Le Saint-Père, accomplissant un de ses plus ardents désirs malgré sa maladie, décida d’aller pérégriner en plein Jubilé dans les lieux sacrés de Jordanie et d’Israël (le mont Nébo, Bethléem, Nazareth…). On ne pouvait s’empêcher d’admirer la façon dont cet homme à l’état physique si fragile, à l’esprit si épuisé et avec de si rares moments d’authentique lucidité, se ranimait et revivait devant l’imminence d’un voyage épuisant. Jean-Paul II était un vrai pèlerin du monde ; le contact avec les foules lui rendait sa vigueur. Et Rome bouillonnait des préparatifs et formalités de dernière heure.
Je pris le ferry à Naples. Il devait arriver à Palerme le samedi matin. Il faisait très beau ce jour-là, aussi me vêtis-je chaudement pour m’installer sur une chaise longue du pont du second étage, prête à profiter de la douceur de la traversée. Me souvenir du passé n’était pas une de mes activités favorites, mais chaque fois que je traversais la mer dans ce sens me revenait l’hypnotique rêverie des années passées en Sicile. En réalité, ce que je voulais être quand j’étais petite, c’était espionne. À huit ans, je regrettais qu’il n’y ait pas de guerre à laquelle je puisse participer, comme Mata-Hari. À dix, je fabriquais de petites lampes avec des piles et des ampoules volées dans les jeux électroniques de mes frères aînés, et je passais des nuits, cachée sous les couvertures, à lire des romans d’aventures. Plus tard, déjà interne dans le couvent de la Bienheureuse Vierge Marie où je fus envoyée à l’âge de treize ans, après ma fuite en barque avec mon ami Vito, je continuai à pratiquer cette espèce de catharsis qu’est la lecture compulsive, en transformant le monde à mon goût à l’aide de l’imagination pour en faire quelque chose qui me plaisait. La réalité n’était ni agréable ni heureuse pour une enfant qui percevait la vie à travers une loupe grossissante. Ce fut à l’internat que je lus pour la première fois les Confessions de saint Augustin et le Cantique des cantiques , et je découvris une profonde ressemblance entre les sentiments exprimés dans ces pages et ma vie intérieure, turbulente et impressionnable. Je suppose que ces lectures aidèrent à éveiller en moi l’inquiétude de la vocation religieuse, mais
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