Le Dernier Caton
à quelques mètres seulement de moi se trouvait l’homme que j’aimais, et qui me dévorait du regard sans oser s’approcher… Oui, j’avais vraiment changé.
Pour que mon bonheur fut complet, il m’aurait suffi d’un shampooing. Je dus me contenter d’un savon de glycérine que le capitaine avait sorti de son inépuisable sac à dos préservé par les stavrophilakes et les Anuak. Quand nous remontâmes à bord, des vêtements propres et bien pliés nous attendaient à l’intérieur de l’infecte cabine. Je me sentis comblée quand, enfin habillée, les hommes mirent entre mes mains un plat d’un énorme et savoureux poisson qu’ils venaient de pêcher et de faire cuire.
Mariam nous avertit que nous arriverions à Antioch le soir même. Il parlait peu, mais il avait le don de me rendre nerveuse.
— Il nous conseille de beaucoup prier avant de commencer l’épreuve, traduisit Farag. Car son peuple souffre beaucoup chaque fois qu’un saint ou une sainte doit être incinéré.
— Quel saint ? demanda Glauser-Röist qui n’avait pas compris.
— Nous, Kaspar. Nous sommes les saints, nous, les candidats.
— Voyez si vous pouvez lui soutirer des renseignements sur ces voleurs de reliques.
— J’ai déjà essayé, répondit Farag, mais cet homme est convaincu qu’il accomplit une mission sacrée, et il se ferait tuer plutôt que de trahir les stavrophilakes.
— Stavrophilakes, répéta Mariam avec respect.
Puis il nous regarda, et posa une question à Farag qui éclata de rire.
— Il veut savoir des choses à votre sujet, Kaspar.
— Moi ? s’étonna le capitaine.
Mariam continuait à parler. Je n’aurais su dire son âge, pas même grâce à cette tache blanche sur sa barbe. Son visage paraissait jeune et sa peau noire brillait, tendue et polie comme le métal sous la lumière du soleil, mais il y avait quelque chose d’ancien dans son regard, qui était accusé par la minceur extrême de son corps.
— Il dit que vous êtes deux fois saint.
Je ne pus éviter de ricaner.
— Il est fou, grogna Glauser-Röist.
— Et il veut savoir ce que vous faisiez avant d’être saint.
Farag et moi essayions sans succès de contenir nos rires.
Mariam répondit froidement quand Farag lui traduisit les paroles du capitaine ; et cette réponse laissa Farag bouche bée.
— Enlevez votre chemise, Kaspar.
— Mais vous êtes devenu fou, professeur ! s’écria-t-il, indigné.
Moi aussi, je fus surprise par ce changement d’attitude.
— Vous n’avez qu’à enlever la vôtre, protesta Glauser-Röist.
— S’il vous plaît, Kaspar, faites-moi confiance !
Ce dernier commença à déboutonner sa chemise.
Farag se pencha vers lui et, en appuyant sa main gauche sur l’épaule du capitaine, le poussa vers le sol pour observer son dos.
— Regarde bien, Ottavia. Mariam dit que Kaspar est deux fois saint parce que les stavrophilakes l’ont marqué avec ça…
Et il posa son index sur les vertèbres dorsales du capitaine qui semblait un taureau sur le point de charger.
— Quelles bêtises dites-vous, professeur ?
Au milieu de son dos, on voyait clairement une scarification en forme de plume au lieu de la croix habituelle.
— Que t’ont-ils mis à toi, Farag ? voulus-je savoir.
Il portait, sous les branches de la croix qu’on lui avait gravée à Constantinople, la croix ansée égyptienne, comme Abi-Ruj Iyasus.
— Abi-Ruj était éthiopien, dis-je soudain à voix haute.
— En effet, répondit le capitaine. Et nous sommes en Éthiopie.
— C’est donc ici que se trouve le Paradis terrestre, dis-je, songeuse. L’origine et la fin du mystère.
— Nous le saurons bientôt, dit Farag en remontant ma blouse vers ma nuque. Tu as une croix ansée. C’est le symbole « ankh », ce hiéroglyphe égyptien qui représente la vie.
Sa main caressait ma scarification de manière totalement inutile, et fort agréable, devrais-je ajouter.
— Mais bien sûr ! s’exclama-t-il soudain. Une plume d’autruche ! Voilà ce que vous avez dans le dos, Kaspar. C’est un autre symbole égyptien, la plume de Maat, qui signifie la justice.
— Maat ? balbutia le capitaine.
— Maat représente la règle éternelle qui dirige l’univers, la précision, la vérité, l’ordre et la droiture. La principale obligation des pharaons égyptiens était de veiller à ce que Maat s’accomplisse pour que le désordre et l’iniquité ne règnent pas. On posait cette
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