Le Dernier Caton
maison, une forte odeur de sauce bolognaise attaqua mes narines. Mon appétit se réveilla, plein de rage, et commença à rugir. Ferma apparut au bout du couloir étroit et me sourit en guise de bienvenue, sans pouvoir cacher une expression de préoccupation que je remarquai aussitôt.
— Ottavia ! Cela fait quatre jours que nous n’avons pas de tes nouvelles ! s’exclama-t-elle, tout agitée. Heureusement que tu es enfin là.
Je m’approchai pour sentir les agréables effluves qui provenaient de la cuisine.
— Tu crois qu’il reste un peu de ces pâtes qui semblent si appétissantes ? demandai-je en retirant ma veste.
— Ce ne sont que de simples spaghettis, protesta-t-elle avec une fausse modestie.
Ferma était une excellente cuisinière.
— Justement, c’est ce qu’il me faut : un bon plat de spaghettis faits maison.
— Ne t’inquiète pas, on dîne tout de suite. Margherita et Valeria ne vont pas tarder.
— Où sont-elles allées ? demandai-je.
Ferma me regarda avec un air de reproche et s’arrêta net deux pas derrière moi.
— Ottavia… Tu n’as pas oublié, pour dimanche ?
Dimanche ? Quel dimanche ? Et que devions-nous faire ce dimanche ?
— Ne m’oblige pas à réfléchir, Ferma, me plaignis-je en renonçant pour le moment au dîner et en me dirigeant vers le salon. Que se passe-t-il dimanche ?
— C’est le quatrième dimanche de Pâques ! s’exclama-t-elle comme si elle venait de m’annoncer la fin du monde.
Je me figeai soudain, sans réaction. Je devais renouveler mes vœux dimanche et j’avais complètement oublié.
— Mon Dieu ! gémis-je.
Ferma quitta le salon en secouant lentement la tête. Elle n’osa pas me reprocher quoi que ce soit, sachant que ce malheureux manque d’attention de ma part était dû à cet étrange travail dont on m’avait chargée ; j’avais disparu pour vivre en marge de mes compagnes et de ma famille. Mais je m’en voulus. Comme si je n’en avais déjà pas assez sur la conscience, Dieu me punissait par cette nouvelle raison de me sentir coupable. La tête basse, seule, j’oubliai ma faim et me dirigeai vers la chapelle pour demander le pardon de ma faute. Il ne s’agissait pas tant du renouvellement administratif des vœux, un simple acte formel que je pouvais accomplir plus tard, que de l’oubli d’un moment très important de ma vie qui, tous les ans depuis que j’avais professé, avait été réjouissant et intense. Il est certain que j’étais une religieuse atypique par le caractère exceptionnel de mon travail et le traitement de faveur que m’accordait mon ordre, mais rien de ce qui constituait ma vie n’aurait le moindre sens si ce qui en était le fondement, c’est-à-dire ma relation avec Dieu, n’était pas le plus important pour moi. Aussi priai-je, le cœur lourd de chagrin, en promettant de m’efforcer davantage de suivre le Christ pour que mes prochains vœux soient de nouveau un don plein de joie et d’allégresse.
En entendant mes compagnes rentrer à leur tour, je fis le signe de croix et me levai en m’appuyant sur les coussins sur lesquels je m’étais assise, non sans souffrir de diverses douleurs articulaires. Ce serait peut-être une bonne idée, pensai-je, de changer la décoration moderne de la chapelle pour quelque chose de plus classique, avec des chaises ou des prie-Dieu, car la vie sédentaire que je menais commençait à avoir un prix élevé : j’avais le dos en compote, mes genoux montraient des signes de faiblesse et me faisaient mal si je restais trop longtemps immobile. Je devenais peu à peu une vieille dame souffreteuse.
Après avoir dîné avec mes compagnes, avant de me retirer dans ma petite chambre qui me parut soudain étrangère, je téléphonai en Sicile. Je parlai d’abord avec ma belle-sœur Rosalia, la femme de mon frère aîné, Giuseppe, puis avec Giacoma, qui lui enleva le combiné des mains et me passa un savon pour avoir disparu pendant tant de jours sans donner signe de vie. Soudain, sans prévenir, elle lâcha un brusque au revoir et j’entendis alors la voix douce de ma mère :
— Ottavia ?
— Maman ! Comment vas-tu ? demandai-je, toute contente.
— Bien, ma fille, bien. Et toi ?
— Je travaille beaucoup, comme toujours.
— Continue comme ça, c’est ce qu’il faut.
Sa voix avait un ton joyeux et insouciant.
— Oui, maman.
— Mais prends soin de toi, ma chérie, tu m’entends ?
— Bien
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