Le Dernier Caton
il ne facilite pas la tâche. Selon une autre note de bas de page, dans La Divine Comédie, à cet instant, il est trois heures du matin et Dante, l’unique mortel présent, ne peut éviter de s’endormir comme un enfant sur l’herbe mouillée. Il rêve, et voit un aigle qui fond sur lui comme l’éclair, l’attrape dans ses serres et l’élève jusqu’au ciel. Épouvanté, il se réveille et découvre que l’aube s’est déjà levée, et qu’il contemple la mer. Virgile, très calme, l’incite à ne pas s’effrayer, car ils sont enfin arrivés à la porte du Purgatoire. Alors il lui raconte que, pendant qu’il dormait, une dame qui disait s’appeler Lucie est apparue, l’a pris dans ses bras, et l’a fait monter doucement jusqu’à l’endroit où ils se trouvent. Après l’avoir posé au sol, elle a montré à Virgile, du regard, le chemin à suivre. Je fus ravie de trouver mention de cette sainte, protectrice de la vue, car c’est une des patronnes de la Sicile, avec Agueda – ce qui explique d’ailleurs les prénoms de mes sœurs.
Une fois Dante sorti des brumes du sommeil, Virgile et lui avancent vers l’endroit indiqué par Lucie. Tout en haut de trois marches, devant une porte, se trouve l’ange gardien du Purgatoire, le premier des ministres du Paradis dont leur avait parlé Caton :
« Répondez d’où vous êtes : que voulez-vous ?
commença-t-il à dire, où est l’escorte ?
Prenez garde car monter peut vous nuire. »
« Une dame du ciel qui connaît ces choses,
lui répondit mon maître, tout à l’heure
nous a dit : Allez par là : là est la porte. »
L’ange gardien, qui tient dans la main une épée flamboyante, les invite à monter jusqu’à lui. La première marche est d’un marbre blanc étincelant, la deuxième de pierre noire, rugueuse et sèche, et la troisième d’un porphyre rouge comme le sang. Selon une autre note de bas de page, tout ce passage représenterait une allégorie du sacrement de la confession : l’ange symbolise le prêtre, et l’épée les paroles du prêtre qui invitent à la pénitence. Je me souvins alors des cours de la sœur Berardi, une de mes professeurs de lettres, qui expliquait ce passage en disant : « La marche de marbre blanc signifie l’examen de conscience ; celle de pierre noire, la douleur de la contrition ; celle de porphyre rouge, la satisfaction de la pénitence. » Comme la mémoire fonctionne bizarrement : qui aurait pu deviner qu’après tant d’années je me souviendrais encore de cette sœur Berardi, morte de vieillesse depuis, et de ses ennuyeuses leçons de littérature ?
À cet instant, on frappa à ma porte et Farag apparut avec un grand sourire aux lèvres :
— Alors, tu avances ? me dit-il d’un ton ironique. Tu as réussi à surmonter tes traumatismes de jeunesse ?
— Eh bien, non ! dis-je en m’appuyant sur mon dossier et en remontant mes lunettes sur le front. Cette œuvre me paraît toujours aussi ennuyeuse !
Il me regarda longuement, d’une manière étrange que je ne pus identifier, et ensuite, comme tiré d’un long sommeil, il cligna des yeux et bredouilla :
— Mais où en es-tu ? voulut-il savoir en enfonçant ses mains dans les poches de sa vieille veste.
— La conversation avec le gardien du Purgatoire, l’ange à l’épée sur les marches.
— Ah ! un passage magnifique, s’exclama-t-il, enthousiaste. C’est une des parties les plus intéressantes. Les trois degrés alchimiques !
— Comment ça, alchimiques ?
— Allons, Ottavia ! Ne me dis pas que tu ignores que ces trois marches représentent les trois phases du processus alchimique : le nigredo, les ténèbres, l’ albedo , l’aube et le rubedo , la lumière solaire. L’œuvre au blanc ou Opus Album , l’œuvre au noir ou Opus Nigrum, et…
Il s’interrompit en voyant la surprise sur mon visage, puis sourit de nouveau :
— Tu vois ce que je veux dire, non ? Tu connais peut-être mieux les dénominations grecques leucosis, melanosis et iosis.
Je demeurai silencieuse en essayant de me souvenir de tout ce que j’avais lu dans les traités médiévaux.
— Bien sûr, finis-je par répondre. Mais je n’aurais jamais imaginé que les marches correspondaient à cela. J’étais même précisément en train de me souvenir de leur lien avec le sacrement de la confession.
— La confession ? s’étonna Farag en s’approchant de ma table. Regarde ce qui est écrit
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