Le Dernier Maquisard
quand il a fait signe à votre jeune maquisard
de s’arrêter et cela explique pourquoi il se trouvait seul sur ce
chemin isolé si proche de votre maquis.
Je vous laisse juge d’informer ce monsieur qui est toujours
vivant. Mais j’aimerais obtenir son accord pour publier cette
histoire afin de rendre hommage à un Allemand qui fut un résistant
à sa façon.
Surtout, dites-lui bien – le fils de M. Schob y tient
beaucoup – que celui-ci ne lui en veut aucunement pour ce tragique
malentendu et qu’il comprend son geste de défense. D’ailleurs, son
fils préfère qu’il soit mort ainsi plutôt que fusillé par les
nazis. « La mort lui a sûrement été plus douce, m’a-t-il dit,
puisqu’il est mort en compagnie d’un camarade. »
Que votre ami n’en conçoive aucune tristesse. C’était la
guerre…
Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés assis l’un en
face de l’autre. Georges silencieux comme une carpe et moi
reniflant et chialant alternativement.
– Tu n’aurais pas une Aspirine ? ai-je fini par lui
demander.
Georges a répondu que oui et s’est levé en maugréant je ne sais
quoi à propos des commémorations et de la guerre.
18
J’ai été pansé mes plaies dans ma chambre, affalé tout habillé
sur le lit défait, en luttant à la fois contre mes souvenirs et mon
mal de tête ravivé par les quatre verres de tord-boyaux que Georges
m’avait fait boire. La chicorée et sa « goutte » maison
semblant être ses deux principaux remèdes.
J’avais abattu un « camarade » sans le savoir. Et,
même si c’était la guerre et si mon Feldwebel n’avait pas de
pancarte suspendue autour du cou indiquant : « camarade
déserteur », c’était lourd à porter.
Alors, quand mon portable a sonné vers cinq heures et que j’ai
entendu la voix d’Élise, j’ai failli me remettre à pleurer sur
moi-même et sur ces putains de guerres à la con.
Elle a commencé en me disant qu’elle avait fait comme convenu
pour les lettres de Ginette. Qu’elle les avait toutes brûlées.
– Tu n’as pas l’air dans ton assiette ? elle m’a fait après
mes premiers mots.
– Un peu crevé…, j’ai dit, et c’était un euphémisme vu mes idées
moroses.
– Ah !
C’était l’exclamation d’une femme qui savait qu’il ne faut pas
déranger les hommes quand ils sont retirés dans leur jardin secret.
Comme lorsqu’ils jouent enfants avec leurs petites voitures ou déjà
aux soldats…
– Tu n’as pas oublié que tu viens dîner ce soir ?
– J’ai une migraine pas possible et je ne crois pas que je
pourrais.
Je ne mentais qu’à moitié. Mon mal de tête s’était estompé mais
je ne pouvais pas me présenter décemment devant elle avec ma gueule
de délabré.
– Ah !
Il y avait déjà moins de compréhension dans le ton.
Elle me le confirma.
– Je me faisais une telle joie…
– Moi aussi. Mais, je t’assure…
– Ça ne fait rien, me coupa-t-elle. Après soixante ans, on n’est
pas à une année près. Tu reviendras peut-être pour le soixantième
et unième anniversaire…
Amère et acerbe. Et je la sentais proche de raccrocher.
Je ne pouvais quand même pas lui avouer que je puais le souvenir
et que je n’étais pas encore lavé à cinq heures de
l’après-midi. Que je ne voulais pas qu’elle ait de moi l’image d’un
zombie.
– Écoute, lui dis-je pour me rattraper
in extremis,
et
si je passais demain matin pour le petit déj ?
– Tu seras débarrassé de ta migraine ?
Sarcastique.
– Oui, d’ailleurs…
Je m’interrompis en étouffant un juron. J’avais failli lui
révéler que ma migraine n’était qu’un prétexte.
– Je vois !
Sèche. Refermée sur elle-même.
Au secours ! Je n’avais pas envie qu’Élise me jette de sa
vie avant même d’avoir commencé quelque chose ensemble. Mais je ne
trouvais rien à dire et je la sentais proche de raccrocher
définitivement.
Je me cramponnais à mon portable comme à une bouée de
sauvetage.
– Élise…, murmurai-je, comme la lettre…
Son silence se fit hésitant.
– Sept heures !
C’était une sentence. Ça avait claqué tel un coup de fouet avant
qu’elle ne raccroche et je crus y reconnaître le ton impérieux de
mon ex.
J’en fus fortement ébranlé.
En tout cas, je n’étais plus si sûr de moi. « Engagez-vous,
rengagez-vous ! »
Cela méritait tout de même
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