Le Dernier Maquisard
m’annoncer
une mort.
– Ah oui ! fis-je, me souvenant tout à coup et de la
journaliste et de mon Feldwebel qui m’étaient tous deux sortis de
l’esprit.
Je le blaguai en lui tapant sur l’épaule.
– De toute façon, l’un est mort il y a soixante ans et ta
journaliste est vivante puisqu’elle t’écrit !
Sûrement qu’elle lui expliquait – avec regret et moult
précisions, puisqu’elle avait pris la peine de s’étendre sur deux
feuillets – qu’elle n’avait pu retrouver la trace des enfants du
Feldwebel. Et je ne voyais vraiment pas pourquoi Georges semblait
prendre cela tant à cœur et s’en contrarier.
Georges s’assit les épaules voûtées et me demanda d’en faire
autant alors que j’étais en train de me dire qu’il faudrait
peut-être que je me prenne une Aspirine si je ne voulais pas
traîner mon mal de tête toute la matinée.
– Assieds-toi, dis Georges avec impatience. Il vaut mieux…
Je m’exécutai en me demandant s’il avait acquis ce ton sans
réplique au maquis ou s’il était net avec.
– Elle a retrouvé le fils de ton Feldwebel, dit-il en me tendant
la lettre dont il avait replié les deux feuillets. Il vit à
Leipzig, en ex-RDA, là où il a toujours vécu. Il a à présent
soixante-douze ans et il a fait sa carrière dans la Stasi, les
services de sécurité est-allemands, crut-il bon de me préciser au
cas où je l’aurais ignoré.
Tout à coup, je me sentis pleinement éveillé et mon début de
migraine sembla s’estomper. J’étais ému et comme soulagé que la
journaliste ait retrouvé un des enfants de mon Feldwebel et ait pu
lui restituer ses papiers et la photo.
– C’est bien, fis-je en gardant la lettre entre les mains sans
la déplier.
– Lis, insista Georges d’un ton lugubre qui m’intrigua.
Je dépliai la lettre pour en avoir le cœur net.
Monsieur, etc., merci de votre accueil, je vous écris pour,
etc., j’ai retrouvé assez facilement le fils de Hans Schob, etc.,
ses deux filles sont également vivantes et habitent à Cologne, etc.
C’est une histoire surprenante que j’ai à vous raconter…
Là, mes mains commencèrent de trembler imperceptiblement et
j’espérais que Georges ne s’en apercevrait pas.
Mais il avait dû s’en rendre compte car j’entendis sa chaise
racler le sol et sentis qu’il se levait.
Je lui en savais gré car je sentais les larmes me monter aux
yeux.
Quand j’eus fini la lecture des deux feuillets, Georges se
tenait derrière moi et me posa ses deux mains sur les épaules en me
les étreignant.
– Je vais nous servir une goutte.
Je m’essuyai furtivement les yeux tandis qu’il allait chercher
son tord-boyaux.
Il posa la bouteille et deux verres à calva sur la table, les
remplit et s’assit lourdement en face de moi.
Je reniflai bruyamment et vidai mon verre d’un trait.
Ça ne me soulagea pas de la douleur qui m’étreignait, mais je
sentis que ce « ramonage » brutal me faisait du bien.
Georges vida son verre plus posément.
Je revoyais mon Feldwebel sur le bord de la route, son air
débonnaire, sa main qui se levait, son air étonné quand j’avais
fait feu, cette sorte de « pourquoi ? » muet. Puis
ce regard profondément humain et cette expression de grande paix
intérieure durant toute son agonie.
La femme de M. Schob et ses enfants ont longtemps cru que
leur mari et père avait été fusillé par les nazis. Officiellement,
il a été porté disparu par la Wehrmacht, mais, lors de sa dernière
permission au mois d’octobre 1943, il avait fait part à sa femme de
son intention de déserter quand il le jugerait possible.
M. Hans Schob était un ancien membre du Parti communiste
allemand interné en 1936 à Dachau et libéré à l’automne 1941 après
l’invasion de la Russie par Hitler. L’armée allemande avait besoin
de nouvelles recrues et M. Schob a accepté de s’engager dans
la Wehrmacht car il craignait que son épouse ne soit internée à son
tour.
Lors de sa dernière permission, M. Schob avait dit à sa
femme que, lorsqu’il aurait pris sa décision, il lui écrirait une
lettre se terminant par : « La victoire finale attend les
armées du Reich sous la conduite du Führer. »
Mme Schob a reçu cette lettre à la fin janvier. Elle était
datée du 7 janvier et son fils me l’a montrée, Mme Schob
l’ayant conservée comme une précieuse relique.
Donc, j’en déduis que M. Hans Schob n’avait aucune
intention agressive
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