Le dernier royaume
le signe de croix. Il y avait dans le vaste
estuaire un petit port et quelques maisons. Nous y entrâmes, demandâmes qu’on
allume le feu et qu’on nous apporte à manger. Puis, dans l’obscurité, je
ressortis et vis des lumières en amont. Je me rendis compte que c’étaient des
torches allumées à bord des navires danes rescapés qui remontaient la rivière
vers Exanceaster. Je savais que c’était là qu’allait Guthrum, que les Danes s’y
trouvaient, que les survivants de la flotte allaient renforcer son armée et
qu’Odda le Jeune, s’il était encore en vie, avait peut-être essayé de se
rendre.
Avec Mildrith et mon fils. Je portai la main à mon amulette
et priai pour qu’ils soient encore en vie.
Puis, alors que les silhouettes des navires s’éloignaient,
je m’endormis.
Au matin, nous tirâmesl’ Heahengel dans le
petit port, où il put reposer sur la vase à marée basse. Nous étions
quarante-huit, épuisés mais en vie. Nous gagnâmes Oxton par les bois remplis de
campanules. Pensais-je y trouver Mildrith ? Je le crois, oui, mais elle
n’y était pas. Je ne trouvai qu’Oswald, le régisseur, et les serfs, mais
personne ne savait rien.
Leofric insista pour que nous passions une journée à sécher
nos vêtements, affûter nos armes et nous remplir la panse, mais je n’étais pas
d’humeur à me reposer. Je pris donc deux hommes, Cenwulf et Ida, et remontai
vers Exanceaster. Le long de la rive, les villages étaient abandonnés, car
leurs habitants avaient appris la venue des Danes et s’étaient réfugiés dans
les collines. Nous y montâmes donc pour leur demander ce qui s’était passé,
mais ils savaient seulement qu’il y avait des navires vikings sur la rivière,
ce que nous pouvions voir nous-mêmes. Nous les comptâmes. Ils étaient près de
quatre-vingt-dix, soit la moitié de la flotte de Guthrum. Je tentai de repérer
la Vipère, mais nous étions trop loin.
Guthrum le Malchanceux. Comme il était bien nommé. Il avait
failli de peu mériter un plus glorieux surnom, mais les dieux de la mer
l’avaient terrassé. Pourtant, l’armée dane était encore puissante et, pour le
moment, à l’abri derrière les murs de pierre d’Exanceaster.
Des hommes en armes marchaient sur la route qui menait aux
landes de Cornwalum. Il m’apparut que c’étaient des Angles et nous sortîmes
donc du bois, nos boucliers sur le dos pour montrer que nous venions en paix.
Ils étaient dix-huit, menés par un thane nommé Withgil qui
avait commandé la garnison d’Exanceaster et perdu la plupart de ses hommes dans
l’attaque de Guthrum. Il raconta sa défaite à contrecœur. Withgil prétendait
avoir tenu depuis le fort situé au centre de la cité, mais à voir la gêne de
ses soldats ils n’avaient guère résisté. La vérité était sans doute que Withgil
avait tout simplement pris la fuite.
— Odda était là ? demandai-je.
— L’ealdorman Odda ? Bien sûr que non.
— Où était-il ?
Withgil me regarda comme si je venais de la lune.
— Au nord, voyons.
— Au nord du Defnascir ?
— Il est parti il y a une semaine. À la tête de la
fyrd.
— Contre Ubba ?
— Ce sont les ordres du roi, dit Withgil.
Apparemment, Ubba avait abordé loin à l’ouest du Defnascir.
Comme il était passé avant la tempête, son armée devait être indemne, et Odda
avait reçu ordre de lui barrer le chemin du Wessex. Odda le Jeune avait dû
rejoindre son père. En conséquence, Mildrith devait être là-bas. Je demandai à
Withgil s’il avait vu Odda le Jeune, mais il n’avait eu aucune nouvelle de lui.
— Combien d’hommes compte Ubba ? demandai-je.
— Beaucoup, répondit-il.
Ce n’était guère précis, mais il n’en savait pas plus.
— Mon seigneur ! coupa Cenwulf en me désignant
l’est.
Je vis des cavaliers apparaître dans les plaines qui
s’étendaient entre la rivière et la colline d’Exanceaster. Ils étaient
nombreux, suivis d’un porte-bannière. Bien qu’ils fussent trop loin pour que je
puisse en distinguer le symbole, je vis le vert et le blanc de l’oriflamme saxon.
Alfred était donc arrivé ? Je n’avais nulle envie de traverser la rivière
pour vérifier. Seule m’intéressait ma quête de Mildrith.
La guerre se déroule dans le mystère. La vérité peut prendre
des journées pour arriver, et en avant-coureur il y a les rumeurs. Il est
toujours difficile de savoir ce qui se passe vraiment, et toute la finesse
consiste
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