Le dernier royaume
à extirper l’os net des faits de la chair corrompue des mensonges et
de la peur.
Que savais-je donc ? Que Guthrum avait rompu la trêve
et pris Exanceaster, et qu’Ubba était au nord du Defnascir. Cela laissait à
penser que les Danes tentaient de réussir là où ils avaient échoué l’année
précédente : diviser les forces saxonnes. Pour empêcher cela, la fyrd du Defnascir avait reçu ordre de contrer Ubba. La bataille avait-elle eu
lieu ? Odda était-il encore en vie ? Et son fils ? Et Mildrith
et mon enfant ? Connaissant Ubba et Odda, je misais sur une victoire du
premier. C’était un grand guerrier, un homme légendaire parmi les Danes, alors
qu’Odda était un vieil homme usé et tatillon.
— Partons au nord, dis-je à Leofric quand nous revînmes
à Oxton.
Je n’avais nul désir de voir Alfred. Il m’ordonnerait sans
le moindre doute de me joindre à ses troupes et je devrais ronger mon frein,
accablé par l’inquiétude. Aussi, le lendemain matin, sous un soleil printanier,
l’équipage de l’ Heahengel partit vers le nord.
La guerre faisait rage entre les Danes et le Wessex. La
mienne se jouait contre Odda le Jeune et je me savais mû par l’orgueil. Les
prêtres prétendent que c’est un grand péché, mais ils se trompent. L’orgueil
construit l’homme, l’orgueil le pousse, et c’est le bouclier qui protège sa
réputation. Les Danes comprenaient cela. Les hommes meurent, disaient-ils, mais
la réputation est immortelle.
Que cherchons-nous chez un seigneur ? La puissance, la
générosité, l’opiniâtreté et la réussite – et un homme ne devrait-il pas
s’enorgueillir de cela ? Montrez-moi un guerrier humble, et je verrai un
cadavre. Alfred prêchait l’humilité, se piquant d’apparaître à l’église pieds nus,
prosterné devant l’autel, mais il était orgueilleux. Les hommes le craignaient,
comme chacun doit redouter un seigneur. Et moi, je marchais vers le nord, car
mon orgueil était menacé. Ma femme et mon enfant m’avaient été enlevés, et
j’allais les reprendre. Et si leur ravisseur leur avait fait du mal, je me
vengerais et la puanteur du sang de cet homme me ferait craindre plus encore.
Le Wessex pouvait bien tomber, je ne m’en souciais plus. Et nous partîmes,
contournant Exanceaster par un tortueux sentier à bétail s’enfonçant dans les
collines, pour atteindre Twyfyrde, un petit village abritant les réfugiés
d’Exanceaster. Aucun d’eux n’avait vu Odda le Jeune ni eu de ses nouvelles, pas
plus qu’entendu parler d’une bataille dans le nord. Mais un prêtre prétendit
que la foudre était tombée par deux fois la nuit précédente : selon lui,
c’était le signe que Dieu avait frappé les païens.
De Twyfyrde, nous prîmes les chemins qui longeaient la vaste
lande, traversant de splendides régions de profondes forêts et de collines.
Nous aurions été plus rapides à cheval, mais les rares bêtes que nous croisâmes
étaient vieilles, malades et en nombre insuffisant. Nous allions donc à pied,
et nous dormîmes cette nuit-là dans une profonde combe couverte de fleurs. Les
oiseaux de l’aube nous réveillèrent et nous continuâmes notre chemin parmi les
fleurs de mai. Dans l’après-midi, nous arrivâmes aux collines et, en croisant
des gens qui avaient fui la côte, emmenant famille et bétail, nous devinâmes
que nous approchions des Danes.
Je l’ignorais, mais les trois Nornes s’affairaient à filer
mon destin. Elles tressaient leurs fils, de plus en plus serrés, pour faire de
moi ce que je suis ; mais en regardant les environs du sommet de cette
haute colline, je ne ressentis qu’un frisson de crainte.
Les fuyards nous racontèrent que les Danes étaient venus des
Galles par la large mer de Sæfern. Les vaisseaux d’Ubba étaient restés
inexplicablement dans le port de Beardastopol, alors que le temps s’était
éclairci. Je devinai qu’Ubba, qui ne faisait jamais rien sans l’approbation des
dieux, avait jeté les bâtons de runes, jugé leur verdict néfaste, donc attendu
que les augures soient meilleurs. Depuis, les runes avaient dû être favorables,
car son armée s’était mise en route. Je comptai trente-six vaisseaux, soit
probablement une armée de douze à treize cents hommes.
— Où vont-ils ? demanda l’un des nôtres.
— À l’est, grommelai-je.
À l’est, à l’intérieur du Wessex. Vers le cœur prospère du
dernier royaume d’Anglie. Alfred serait contraint de se
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