Le dernier templier
le second et Attal entamèrent les préparatifs de récupération en surface. Ils hurlèrent des ordres au reste de l’équipage. Les mots résonnaient aux oreilles de Tess dans un désordre indescriptible. Elle ne pouvait s’empêcher de regarder Vance. Ses yeux étaient comme animés d’une vie propre. Ils n’appartenaient plus au calme érudit qu’elle avait rencontré des années auparavant, ni même à l’homme brisé et monomaniaque avec lequel elle s’était embarquée dans cette aventure imprudente. Elle reconnaissait la dureté froide et détachée qu’elle voyait en eux. Ce regard, elle l’avait déjà vu : au Met, la nuit du hold-up. Il l’avait tétanisée alors et, maintenant, avec un mort étendu sur le sol près d’elle, il la terrifiait.
Alors qu’elle contemplait le cadavre de Rassoulis, une pensée horrible l’envahit soudain : elle pouvait fort bien mourir ici. A cet instant, elle songea à sa fille en se demandant si elle la reverrait un jour.
Reilly eut un brusque mouvement de recul quand la voix de Rassoulis s’évanouit et que le haut-parleur de la radio lâcha un puissant sifflement parasite. Une onde d’angoisse le parcourut. Il pensait avoir entendu un bruit qui ressemblait à un coup de feu, mais il n’en était pas sûr.
— Capitaine ? Tess ?
Il n’y eut pas de réponse.
Il se tourna vers le radio, qui s’activait déjà sur les commandes de sa console. Mais l’homme secoua sombrement la tête et informa son commandant en turc.
— Le signal a disparu, confirma Karakas. On dirait qu’ils en ont entendu assez à leur goût.
Bouleversé, Reilly regarda à travers la vitre de la cabine. Les essuie-glaces ne parvenaient plus à améliorer la visibilité. Le Karadeniz affrontait des vagues de plus en plus violentes. Toutes les conversations sur la passerelle se faisaient en turc, mais Reilly réussit à comprendre que l’équipage de la petite canonnière était plus préoccupé par la mer déchaînée que par l’autre navire, qui paraissait toujours stationnaire. Théoriquement, le Savarona était maintenant à portée de vue. Seulement la pluie battante et la grosse mer ne permettaient de l’apercevoir que de temps en temps, quand la houle faisait monter les deux bateaux simultanément au sommet d’une lame. Reilly essayait de l’apercevoir, mais tout ce qu’il pouvait distinguer par intermittence n’était qu’une forme lointaine, confuse. Il sentit une boule dans sa gorge à l’idée que Tess se trouvait dans le navire malmené.
L’agent du FBI vit Karakas et son second échanger quelques mots brefs. Puis le commandant se tourna vers De Angelis. De profondes rides d’inquiétude creusaient son front.
— Ça devient incontrôlable. Le vent atteint cinquante noeuds. Et dans ces conditions, nous ne pouvons pas faire grand-chose pour les forcer à nous suivre.
De Angelis ne parut pas impressionné.
— Tant qu’ils sont là, on continue.
Le commandant soupira. Ses yeux se posèrent sur Reilly, en quête d’informations sur l’état d’esprit de leur interlocuteur, mais il n’en obtint aucune.
— Je pense que nous ne devrions pas rester ici plus longtemps, déclara-t-il. Ce n’est plus du tout sûr.
De Angelis se tourna pour lui faire face.
— Quel est le problème ? s’indigna-t-il. Vous ne pouvez pas affronter quelques vagues ?
Il pointa un doigt rageur vers le Savarona.
— Je ne les vois pas manoeuvrer pour s’enfuir. Ils n’ont pas peur d’être là, eux. Et vous ?
Reilly observa Karakas. Le sarcasme avait fait monter le pouls du Turc. Il lança un regard noir au prêtre avant de hurler des ordres à son second. De Angelis opina du chef, jeta un coup d’oeil rapide à Plunkett et se tourna pour regarder droit devant lui. A son profil, Reilly voyait que l’homme était content.
Les yeux fixés sur l’eau à tribord, Tess se tenait à côté de Vance. Les gouttes s’écrasaient contre la vitre comme des salves de chevrotines alors que les rafales de pluie battaient le poste de pilotage. De grandes plaques d’écume volaient en épaisses stries blanches autour d’eux. Le pont du Savarona était inondé.
C’est alors qu’ils apparurent.
Trois flotteurs orange, jaillissant de l’eau comme des baleines faisant surface.
Tess plissa les yeux pour mieux percer les bourrasques de pluie. Puis elle vit enfin la grosse structure de bois sombre arrondie accrochée entre les flotteurs. En dépit de l’usure du
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