Le dernier templier
tentant de rattraper les parchemins au vol.
Il bascula dans le vide, les bras écartés, fouettant au passage les pages voletantes qui semblaient le narguer. Sa chute s’acheva quelques dizaines de mètres plus bas, sur les rochers.
Tess arriva près de Reilly. Ils se penchèrent au bord de l’à-pic et regardèrent le précipice vertigineux. Le corps de Vance gisait en bas. Les vagues s’écrasaient autour de lui. Elles le soulevaient et le brinquebalaient comme une poupée de chiffon.
Tout autour de son corps désarticulé, des pages de l’antique manuscrit s’éparpillaient sur l’eau. La houle effaçait l’encre qui disparaissait du parchemin comme elle lavait le sang des plaies béantes de l’universitaire déchu.
Reilly étreignait fermement la jeune femme. Avec un air de regret, il regardait la mer avaler les dernières pages du manuscrit.
« Nous ne saurons jamais », songea-t-il tristement, en serrant les dents à cette pensée.
Soudain, quelque chose attira son regard.
Lâchant Tess, il entreprit de descendre de quelques mètres le long de la paroi rocheuse.
— Que fais-tu ? hurla-t-elle en se penchant pour voir où il allait.
Sa voix trahissait une extrême inquiétude.
Quelques instants plus tard, il réapparut au bord de la falaise. Tess tendit la main pour l’aider à remonter et vit ce qu’il tenait entre les dents.
C’était un morceau de parchemin.
Une page du manuscrit.
Il la donna à une Tess incrédule.
— Au moins, nous avons quelque chose pour prouver que nous n’avons pas tout imaginé, parvint-il à dire, encore essoufflé par l’effort qu’il venait de produire pour le récupérer.
Un long moment, la jeune femme étudia la page. Tout ce qu’elle avait vécu depuis cette fameuse nuit au Met, tout le sang versé, toute la peur et le tumulte qu’elle avait ressentis au fond d’elle-même lui revenaient brutalement à l’esprit. Et à cet instant, elle sut. Elle sut sans l’ombre d’un doute ce qu’elle devait faire. Sans une hésitation, elle sourit à Sean, déchira le morceau de parchemin et le jeta dans le vide.
Elle regarda les fragments tomber dans la mer, puis se tourna vers son compagnon, qu’elle enlaça.
— J’ai trouvé tout ce dont j’ai besoin, lui dit-elle avant de lui prendre la main et de s’éloigner de la falaise.
Epilogue
Paris, mars 1314
La tribune de bois somptueusement décorée se dressait en bordure d’un champ, sur l’île de la Cité. Des étendards aux couleurs vives ondulaient dans la brise. Le timide soleil se reflétait sur les accoutrements tapageurs des courtisans et des serviteurs du roi déjà assemblés.
Le petit peuple s’était massé lui aussi. À l’arrière d’une foule excitée et bavarde, un homme attendait, voûté et las. Il portait une robe brune élimée, don d’un moine qu’il avait rencontré quelques semaines plus tôt.
Bien qu’il eût tout juste dépassé la quarantaine, Martin de Carmaux avait beaucoup vieilli. Pendant près de deux décennies, il avait trimé dans la carrière toscane sous un soleil de plomb et les coups de fouet impitoyables des contremaîtres. Il n’avait jamais abandonné l’espoir de s’évader. Les éboulements de rochers étaient nombreux et, un jour, un effondrement pire que les autres avait tué une douzaine d’esclaves, mais aussi des gardes qui se trouvaient en dessous. Par un heureux coup du sort, Martin et l’homme à qui il était enchaîné avaient pu exploiter la confusion et les nuages de poussière tourbillonnants pour s’échapper.
Les longues années passées en quasi-esclavage ne l’avaient jamais découragé. Totalement coupé de toutes nouvelles du monde au-delà de cette maudite vallée, Martin n’avait qu’une chose en tête. Il avait filé droit vers la chute d’eau et retrouvé le rocher singulier aux craquelures évoquant la croix pattée des Templiers. Là, il avait récupéré la lettre d’Aimard et entamé sa longue marche à travers la montagne et la France.
Le voyage lui avait pris plusieurs mois, mais son retour longtemps différé dans sa patrie ne lui avait apporté qu’une cruelle déception : il avait appris le désastre qui avait frappé les Templiers. Et plus il s’était rapproché de Paris, plus il avait compris qu’il était trop tard pour faire quoi que ce soit qui puisse infléchir le destin de l’Ordre.
Il avait cherché ses frères et posé des questions sur leur compte, aussi discrètement que
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