Le dernier templier
destin.
Soudain, alors qu’il se remémorait ce silence, il réalisa que c’était cela qui était différent aujourd’hui.
Tout était tranquille.
D’ordinaire, les cachots étaient un lieu bruyant : les chaînes résonnaient, les chevalets et les roues craquaient, les brasiers sifflaient au milieu des cris interminables des victimes et des bourreaux.
Mais pas aujourd’hui.
Ce fut alors que le grand maître entendit un bruit. Des pas approchaient. D’abord, il pensa à Gaspard Chaix, le chef des tortionnaires. Mais ses pas étaient différents, lourds et menaçants. Ce n’étaient pas non plus les pas traînants de l’un des membres de son équipe d’assassins. Non, plusieurs hommes arrivaient. Ils remontèrent le couloir sombre, puis débouchèrent dans la cellule où Molay était pendu à des chaînes.
À travers des yeux bouffis et injectés de sang, celui qui était encore le chef suprême du Temple entrevit une demi-douzaine de silhouettes en livrée éclatante devant lui. Et au centre de ces gens, il y avait le roi en personne.
Mince et imposant, Philippe le Bel faisait une bonne tête de plus que le groupe de courtisans agglutinés autour de lui. En dépit de sa situation peu enviable, Molay continuait d’être frappé par l’aspect du souverain français. Comment un homme d’une telle grâce physique pouvait-il se montrer si impitoyable ? À quarante-six ans, Philippe le Bel avait encore une apparence de jeune homme, avec une peau claire et des cheveux blonds. Il était l’incarnation même de la noblesse. Pourtant, depuis près d’une décennie, poussé par une soif de richesse et de puissance qui n’avait d’égale que sa débauche, il avait méticuleusement semé autour de lui la mort et la destruction, infligeant les pires tourments à tous ceux qui se dressaient sur sa route ou qui, simplement, n’avaient pas l’heur de lui plaire.
Les Templiers avaient fait plus que lui déplaire.
Molay entendit d’autres pas, hésitants et nerveux, remonter le tunnel. Leur son précéda l’arrivée dans la cellule d’une minuscule silhouette revêtue d’une longue robe grise encapuchonnée. Le pied de l’homme glissa et il trébucha sur le sol inégal. La capuche tomba et Molay reconnut le pape Clément. Cela faisait longtemps qu’il ne l’avait pas vu et, dans l’intervalle, le visage du pontife s’était modifié. Des rides profondes cernaient les commissures de ses lèvres comme s’il souffrait d’un mal intérieur permanent. Quant à ses yeux, ils avaient reculé au fond de cavités sombres.
Le roi et le pape. Ensemble.
Cette visite ne pouvait être de bon augure.
Le regard du souverain demeurait fixé sur Molay. Mais pour l’instant, le haut dignitaire ne s’intéressait pas à lui. Ses yeux ne quittaient pas le nabot dans sa pèlerine qui se dandinait en évitant son regard. Quel tourment interne rongeait le pape au point qu’il n’osait pas l’affronter en face ? s’interrogea Molay. Se sentait-il coupable d’avoir précipité la chute des Templiers par sa manipulation du roi de France ? Ou ne supportait-il pas de voir ses membres cruellement déformés, ses plaies béantes et suppurantes, sa chair couverte de blessures putréfiées ?
Le roi s’approcha.
— Toujours rien ? gronda-t-il à l’intention d’un homme qui se tenait à l’écart du groupe.
Celui-ci s’avança et Molay constata que, cette fois, il s’agissait bien du bourreau barbu Gaspard Chaix.
— Rien, répondit le tortionnaire.
— Qu’il aille en enfer, ordonna le roi d’une voix qui transpirait la rage qui le dévorait.
Tu m’y as déjà envoyé, pensa Molay. Il vit Chaix tourner son regard de son côté. Sous ses sourcils broussailleux, ses yeux étaient aussi morts que les pierres du sol. Le souverain fit deux pas de plus, un mouchoir sur le nez pour masquer la puanteur que le grand maître avait cessé de remarquer depuis longtemps, mais qu’il savait omniprésente. Philippe étudia le prisonnier de tout près.
La voix chuchotante du roi fendit l’air vicié.
— Parle, maudit. Où est le trésor ?
— Il n’y a pas de trésor, se contenta de répondre Molay d’une voix à peine audible.
— Pourquoi te montres-tu si entêté ? tonna Philippe. À quoi cela peut-il servir ? Tes frères ont tout révélé : vos sordides cérémonies d’initiation, vos chevaliers de la Croix niant la divinité du Christ, crachant sur cette croix qu’ils étaient censés
Weitere Kostenlose Bücher