Le dernier templier
commença à se disloquer. Les planches des bordés, trop longtemps frappées, cédaient. Aux grondements toujours assourdissants répondirent de terrifiantes explosions : toute la coque se fendait. La panique se propagea parmi les rameurs enchaînés, tandis que les chevaux ruaient au-dessous.
— Les esclaves ! rugit Hugues. Détachez-les avant qu’ils se noient !
Les marins se précipitèrent pour les dégager de leurs chaînes, mais leur liberté fut de courte durée. Les paquets d’eau qui s’engouffraient dans la coque les emportèrent.
Le capitaine ne pouvait plus différer l’inévitable.
— Lancez la chaloupe à la mer, beugla-t-il, et abandonnons le navire !
Martin courut pour aider à mettre à l’eau leur unique chance de survie. Au même instant, il vit Aimard sortir du château arrière. Il portait un gros sac de cuir et se dirigeait vers le gaillard d’avant.
Martin cria en vain pour l’avertir au moment où une vague gigantesque arrivait sur lui. Aimard fut projeté, impuissant, à travers tout le pont. Son flanc alla heurter un coin de la table des cartes. Le chevalier hurla de douleur, mais, serrant les dents, il réussit tant bien que mal à se relever, une main plaquée sur les côtes. Martin se porta à son secours ; Aimard repoussa son aide. Le vieux templier ne voulut pas lâcher son sac, alors que son volume et son poids ajoutaient à son inconfort.
Ils parvinrent avec les plus grandes peines à monter dans la longue barque, au même niveau que le pont de la galère qui s’enfonçait. La dernière vision que Martin de Carmaux eut du Faucon-du-Temple fut son engloutissement dans la mer enragée. La puissance de la tempête brisa l’énorme masse de bois prolongée par la figure de proue sculptée. Le navire sombra sans bruit. Les cris démoniaques du vent et les hennissements des chevaux qui se noyaient couvraient les sons. Ils étaient neuf dans la chaloupe. Dans le regard désolé de ses compagnons, Martin lut le reflet de son propre effroi pendant qu’ils contemplaient leur navire qui disparaissait, morceau par morceau.
Les vagues, autant que le vent, les poussaient. La barque était ballottée comme une coque de noix. Six des neuf survivants purent bientôt se mettre à ramer, atténuant par là les secousses les plus violentes. Ils avaient été chassés de la Terre sainte et à présent le Faucon-du-Temple était perdu. Martin se demanda combien de temps ils allaient survivre s’ils atteignaient la terre. Où qu’ils soient, ils se trouvaient loin de chez eux, probablement en territoire ennemi.
Le canot continua de dériver pendant des heures, puis la hauteur des vagues commença à décroître. Enfin, ils virent la terre que le guetteur avait repérée avant le naufrage. Peu après, ils tiraient la longue barque à travers le ressac, et enfin sur le sable d’une plage. La tempête hurlait encore et la pluie froide les transperçait, mais au moins ils avaient un sol ferme sous les pieds.
Après avoir taillé en pièces le fond de la chaloupe avec leurs épées, ils la repoussèrent dans la mer toujours agitée. Si quelqu’un venait à longer le rivage, il ne devait pas soupçonner leur passage. Hugues leur expliqua qu’ils avaient déjà mis le cap au nord quand la tempête les avait frappés. Selon lui, le Faucon-du-Temple avait été rejoint par l’ouragan aux abords de l’île de Chypre, puis déporté vers le septentrion. En s’appuyant sur l’expertise du marin, Aimard prit la décision d’éviter le rivage et de marcher plus à l’intérieur des terres avant de se diriger vers l’ouest pour chercher un port.
Les basses collines leur fournirent bientôt un abri contre le vent et, plus important encore, contre les regards des autochtones. À dire vrai, ce dernier point ne représentait pas un danger pour l’instant : ils n’avaient vu personne, ni rien entendu en dehors des hurlements de la tempête. Même la vie sauvage semblait absente. Les animaux devaient se terrer à cause du mauvais temps.
Ils entamèrent une longue marche épuisante. Martin constatait que l’état d’Aimard ne cessait d’empirer. Le coup qu’il avait reçu à la poitrine avait été extrêmement violent. La blessure commençait à faire ressentir ses effets. Donnant l’impression d’être insensible à la douleur qui l’étreignait, Aimard avançait avec courage. Jamais il ne se séparait du volumineux sac dont il s’était chargé.
Quand ils arrivèrent en
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