Le dernier templier
avait mis le cap vers l’ouest et Chypre, où ils se réfugieraient dans leur commanderie.
Après l’épreuve des dernières heures passées à Acre, Martin était descendu pour essayer de se reposer, mais les mouvements du navire l’empêchaient de trouver un sommeil réparateur. Les images du grand maître mourant et de la fuite au milieu des combats restaient gravées dans son esprit.
Quand il remonta sur le pont, aux premières lueurs de l’aube, il fut bouleversé par ce qu’il découvrit.
Devant eux, de gigantesques éclairs zébraient un ciel noir. Une tempête approchait à grande vitesse. Les grondements encore assourdis du tonnerre pouvaient déjà s’entendre malgré le vent qui s’engouffrait dans les gréements. Derrière eux, à l’est, une bande de nuages menaçants dissimulait le soleil levant, qui dardait ses rayons vers la nuée dans une vaine tentative d’embrasement du ciel sinistre.
« Comment est-ce possible ? songea Martin. Deux tempêtes simultanées, l’une devant nous et l’autre nous poursuivant. » Un bref échange avec Hugues, le capitaine du navire, lui confirma que même le marin n’avait encore jamais rien vu de tel.
Ils étaient coincés au milieu.
Le vent forcit, amenant des bourrasques de pluie froide. La voile battait violemment contre sa vergue. Les hommes d’équipage luttaient pour maîtriser les armatures. Le mât grinçait, comme s’il lançait des grondements de protestation. Dans la cale, les chevaux hennissaient et ruaient sans répit contre les parois. Martin regardait le capitaine consulter ses cartes. Il marqua leur position avant d’ordonner au maître de la chiourme d’accélérer le rythme des esclaves et d’indiquer au timonier un nouveau cap pour tenter d’échapper aux tempêtes.
Martin rejoignit Aimard sur le gaillard d’avant. Celui-ci observait aussi le ciel avec une inquiétude croissante.
— C’est comme si Dieu voulait que la mer nous engloutisse, dit-il à Martin.
Sous peu, l’ouragan allait se déchaîner autour d’eux avec une sauvagerie impitoyable. Le ciel vira au noir, changeant le jour en nuit, et le vent se mua en rafales. Autour du navire, les vagues se métamorphosèrent en brisants qui se précipitaient sur eux, battant la poupe sur tribord. Les éclairs claquaient conjointement à des explosions de tonnerre assourdissantes. Une pluie dense s’abattit sur le navire comme un rideau coupant ses occupants du reste du monde.
Hugues cria à un matelot de scruter l’horizon en quête d’une hypothétique terre et d’un mouillage protecteur. Martin regarda l’homme braver à son corps défendant la pluie torrentielle et grimper jusqu’à la hune. Le navire fendait des vagues de plus en plus grandes qui se fracassaient contre lui. Certaines passaient par-dessus la poupe avant de s’écraser sur le pont par paquets.
Les rames semblaient animées d’une vie propre. Quelques-unes cognaient contre la coque. D’autres heurtaient les esclaves enchaînés, qui luttaient avec l’énergie du désespoir pour les manoeuvrer. Il y eut tant de blessés qu’Hugues se vit contraint d’ordonner que l’on rentre les rames.
Depuis des heures, le bateau était secoué sans répit quand, par-dessus les grondements assourdissants, Martin entendit un craquement sinistre : le panneau d’écoutille de la poupe venait de lâcher et des masses d’eau sombre s’engouffraient dans les cales. Presque aussitôt, le navire se mit à pencher. Venant d’en haut, un bruit déchirant retentit : le mât avait cédé. Martin leva les yeux à temps pour voir l’énorme masse s’écraser sur trois marins tout en précipitant la vigie dans la mer en furie.
Sans voile ni rames, la galère à la dérive était maintenant à la merci de la tempête et des courants, brinquebalée, poussée, entraînée par une mer déchaînée. Pendant trois jours et trois nuits, la tempête ne faiblit pas.
Le Faucon-du-Temple se pliait à son gré dévastateur, en tâchant tout juste de rester à flot en un seul morceau. Puis, le quatrième jour, alors que les vents ne diminuaient toujours pas, une voix cria :
— Terre ! Terre !
Martin regarda dans la direction qu’indiquait le guetteur, mais il ne put rien apercevoir d’autre que la mer démontée. Enfin il la vit : une masse sombre et distante à peine discernable sur l’horizon.
C’est à ce moment-là que le drame se produisit.
Alors qu’il était en vue de la terre, le navire
Weitere Kostenlose Bücher