Le dernier templier
rabaissa la dalle. L’aîné l’examina pour s’assurer que leur intrusion n’était pas repérable. Puis il se releva et revint d’un pas traînant jusqu’à son petit bivouac. Là, il se laissa tomber sur le sol.
Le jeune chevalier scruta les ténèbres. Sa tête n’était qu’un tourbillon de pensées confuses. Quand Aimard de Villiers l’avait encouragé à rejoindre l’Ordre, il s’était senti honoré. Pendant les trois premières années, cet honneur s’était révélé justifié : les Templiers constituaient un groupe d’hommes courageux, dévoués à Dieu, à l’humanité et à l’Église. Mais à présent que la Terre sainte était perdue, qu’allait-il advenir d’eux ?
D’autres éléments troublants remontaient à la surface. Au cours des années, il avait pris conscience des inquiétudes qui n’étaient pas exprimées ouvertement au sein de l’Ordre. Il savait, grâce à des bribes de conversations, qu’il existait des frictions entre l’Ordre et l’Église. Là où, pensait-il, aurait dû régner la confiance, il n’y avait que dissensions et suspicions. À tel point que l’Église n’avait pas participé aux récentes campagnes de recrutement. Par son refus, elle avait scellé le sort de la garnison d’Acre. L’Église avait-elle délibérément mis le Temple en danger ?
Il y avait eu aussi ces réunions secrètes auxquelles Guillaume de Beaujeu ne conviait que quelques membres supérieurs de l’Ordre, lesquels en ressortaient avec des mines sinistres. Des hommes comme Aimard de Villiers, dont l’ouverture d’esprit et l’honnêteté comptaient au nombre des qualités pour lesquelles Martin l’avait tant admiré. Ensuite, il y avait eu ce coffret ouvragé et les mots sibyllins échangés entre Aimard et le grand maître juste avant d’embarquer sur le Faucon-du-Temple. Et maintenant, ceci.
— Martin.
Surpris, ce dernier se tourna vers son protecteur, dont le visage se tordait de douleur. Sa voix n’était plus qu’un grommellement sourd.
— Je sais ce que tu dois penser. Mais crois-moi quand je te dis... Il y a des choses que tu dois savoir, des choses que tu as besoin de savoir... si notre Ordre doit survivre. Guillaume m’a fait confiance en partageant son savoir et en me donnant cette mission, mais...
Il s’interrompit pour tousser. Puis il s’essuya la bouche avant de poursuivre :
— ... mon voyage s’achève ici. Nous le savons tous les deux.
Il leva la main pour couper court aux protestations de Martin.
— Je dois moi-même te confier ces secrets. Il te faut terminer la tâche que j’ai à peine commencée.
Pendant quelques instants, le blessé retint sa respiration, puis il reprit :
— Pendant de nombreuses années, un secret n’a été connu que de quelques initiés au sein de notre Ordre. Dès son apparition, seuls neuf hommes l’ont partagé. Jamais un plus grand nombre de chevaliers n’y a eu accès. Il repose au coeur de notre Ordre et, pour l’Église, il est source de peur et d’envie.
Aimard parla toute la nuit. D’abord, Martin l’écouta, incrédule, puis il éprouva une vague de sentiments mêlés, contrastés, de stupéfaction, d’indignation. Mais, dans la mesure où ces révélations lui étaient transmises par Aimard lui-même, il savait intuitivement que cette histoire ne pouvait être une invention.
Plus Aimard poursuivait son récit, de sa voix frêle et tremblante, plus une prise de conscience se faisait jour dans l’esprit de son auditeur. La colère de celui-ci se transforma en un respect teinté de crainte. Progressivement, mais sûrement, la légitimité de ce grand dessein s’immisçait en lui, s’incrustait dans son esprit.
Ils conversaient encore quand le soleil se leva. Lorsque Aimard de Villiers eut fini, le jeune homme demeura silencieux. Puis il demanda :
— Que veux-tu de moi ?
— J’ai écrit une lettre. Une lettre qui doit être portée au maître du Temple de Paris. Nul autre ne doit la voir.
Il tendit la missive à Martin qui, lui-même, ne put la lire. Aimard désigna l’étrange machine à engrenages à côté de lui.
— Elle est codée... au cas où elle tomberait dans des mains malintentionnées... Nous sommes en territoire ennemi et vous n’êtes plus que quatre. Restez ensemble le temps nécessaire, puis séparez-vous en deux groupes. Empruntez des rou tes différentes pour gagner Paris. J’ai fait une copie de la lettre. Un exemplaire pour chacune des deux
Weitere Kostenlose Bücher